Doré : Antitumoraux de synthèse à partir de l'acide aristolochique
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Thèse de Doctorat d'état es sciences physiques présentée à l’Université Paris VI
pour obtenir le grade de Docteur-es Sciences

par

Jean-Christophe Doré



Nouveaux antitumoraux de synthèse au départ de l'acide aristolochique. Mise en évidence d'un groupement actif dans leur molécule et proposition d'un mécanisme probable de leur mode d'action chimique au niveau cellulaire

soutenue le 22 avril 1974

devant la commission d'examen :

Rigaudy, J., président
Basselier, J. J., Poisson, J., Rumpf, P., et Viel, C., examinateurs




«La clef de toutes les sciences est sans contredit le Point d'Interrogation ; nous devons la plupart des grandes découvertes au Comment ? et la sagesse dans la vie consiste peut-être à se demander, à tout propos, Pourquoi ?"

H. de BALZAC (La peau de chagrin, II)



cependant

 

«L'ignorance qui estoit naturellement en nous, nous l’avons par longue estude confirmée et avérée".

MONTAIGNE

(Essai, Livre II, Ch. XII)

 

INTRODUCTION


Les Aristolochiacées comprennent des plantes vivaces herbacées ainsi que des lianes à feuilles alternées simples et à fleurs solitaires ou disposées en grappes ; leur répartition géographique, très étendue, couvre tous lescontinents. Le nombre des espèces est important puisque PFLUGE en a recensé 36 distinctes.


L'intérêt attaché à ce type de plantes est fort ancien puisqu'on les utilisait en thérapeutique dès l'époque gréco-romaine. C'est ainsi que LEMERY à la fin du 17ème siècle procède à une étude pharmacognosique détaillée de cette famille botanique, dans son traité de chimie et dans son Dictionnaire Universel des Drogues. De nos jours encore, les sorciers Africains utilisent des extraits de ces plantes en médecine tribale, selon des recettes ancestrales.


Cet aspect thérapeutique avait suscité des recherches sur la nature et la composition des différents principes actifs rencontrés dans ces plantes. De nombreux travaux répertoriés dans une mise au point récente ont permis de mettre en évidence qu'en dehors des terpènes; des flavones, des aporphines et de divers composés classiques dans les extraits végétaux, on rencontre essentiellement des substances nitrophénanthréniques dont la structure particulière est caractéristique de cette famille botanique. L'originalité et la complexité relative de ces molécules a longtemps retardé la détermination exacte de leur structure : ce sont les travaux de PAILER et de ses collaborateurs qui ont permis d'attribuer la structure 1 (méthylènedioxy-3,4 méthoxy-8 nitro-10 phénanthrène carboxylique-1) à l'acide aristolochique ou acide aristolochique I, produit principal caractéristique de toutes les espèces d'Aristoloches étudiées. Cette structure a été définitivement confirmée quelques années plus tard, après que KUPCHAN et ses collaborateurs aient, en 1965, décrit une synthèse totale de cet acide.


Les produits que nous avons synthétisés et testés sont numérotés en chiffres arabes, alors que des chiffres romains -ont été adoptés pour tous les autres composés cités dans le texte.


A ce jour, un certain nombre de molécules naturelles dérivés de cette structure ont été isolées et caractérisées : il convient de citer notamment un produit de dégradation, l’aristolactame II, les acides aristolochiques III, IV et V, l'acide débilique VI et le "rouge aristo" (aristo red) VII.


La présence de ce type de structures inhabituelles comme produits du métabolisme végétal tend à s'expliquer par une oxydation de structures aperphiniques dont la mise en évidence a été effectuée dans certaines espèces d’Aristoloches (9, 10) : c'est ainsi que la stéphanine IX, présente dans ces plantes, parait être un précurseur direct de l'acide aristolochique. En effet, d'études réalisées sur Aristolochia siphe l’Her., il ressort que l'administration de chlorhydrate de nor-landanesine 4-C14 VIII conduit à 1’acide aristolochique marqué sur son carboxyle, et que celui-ci ne peut se former que par l’intermédiaire de la stéphanine


La littérature fait très largement mention des propriétés thérapeutiques des extraits des différentes aristoloches qui ont été largement utilisées et le sont encore en médecine indigène (12) pour faciliter les accouchements, comme antidotes contre les effets des morsures de serpents, comme toniques, fébrifuges, antispasmodiques et purgatifs.


D’autre part. des travaux récents ont montré que les extraits d'Aristololochia clématis L. présentent des propriétés antibactériennes remarquables, inhibant fortement les cultures de Staphylococcus aureus, et que les extraits d'Aristolochia elegans Hast. présentent une activité antimitotique (15) vis-à-vis des cellules de graines d’oignon en germination.


La séparation et la purification du principe actif essentiel, l’acide aristolochique, a permis aux pharmacologues de reprendre l'examen des différents aspects des propriétés thérapeutiques attribuées à cette famille botanique et de vérifier que l'acide aristolochique est bien responsable des propriétés observées parmi lesquelles les propriétés antibactériennes et antitumorales sont les plus intéressantes.


L’action bactériostatique a été vérifiée in vivo par inhibition du pneumocoque, l’acide aristolochique prolongent de façon sensible le temps de survie de souris infectées par cet agent microbien. D'autres travaux présentent des conclusions moins catégoriques concernant l'effet de cet acide vis-à-vis d'autres espèces bactériennes. En revanche la stimulation de la phagocytose par l’acide aristolochique est remarquable : après infection par Mycobactérium tuberculosis le pourcentage de cobayes survivant est bien supérieur pour les animaux traités par l'acide aristolochique. Cet acide stimule de façon sélective la phagocytose de nombreuses espèces microbiennes par les leucocytes sanguins, tant dans des expériences faites sur les animaux, que dans celles qui sont pratiquées avec le sérum humain.


L’inhibition tumorale est la seconde propriété pharmacologique intéressante. Ainsi, après les travaux de BARNARD, déjà cités il se confirme que les extraits d’Aristolochia indica L., comme ceux d'Aristolochia elegans mast inhibent les tumeurs expérimentales chez l'animal et que seul l'acide aristolochique est responsable de cette activité qui se manifeste sur 1 adénocarcinome ÇA 755 de la souris en particulier. Par ailleurs, cet acide provoque l'arrêt de la croissance des cellules tumorales humaines.


FILITIS et MASSAGETOV ont montré également que des injections intrapéritonéales répétées d'acide aristolochique inhibent la croissance de l'heptoma ascitique du rat, mais n'ont, en revanche, aucun effet sur le développement de sarcome 45 et M1 et le carcinome RS1 du rat. Les recherches en chimiothérapie antitumorale au départ de l'acide aristolochique ont été quelque peu freinées par suite de cette absence d'activité surtout de souches tumorales et par le fait que, lors d'essais cliniques, JACKSON ait montré que la toxicité rénale limite l'éventuel emploi de cet acide en thérapeutique humaine en deçà des doses curatives.


A notre connaissance, seuls KUPCHAN, WORMSER et MOKOTOFF ont entrepris la synthèse de plusieurs composés phénanthréniques analogues à l'acide aristolochique. Parmi ceux qui ont été testés, l'acide nitro-10 tétrahydro-5,6,7,8 phénanthrène-carboxylique-1 X et son lactame XI n'exercent aucune action inhibitrice vis-à-vis des cellules tumorales en culture ; il en est de même pour le lactame II de l'acide aristolochique.


En ce qui concerne les études toxicologiques postérieures à celles de JACKSON, une analyse sommaire ferait apparaître des contradictions entre les conclusions des différents travaux. En effet, si CONCHA et ses collaborateurs confirment la toxicité rénale et hépatique de l'acide aristolochique dans des essais systématiques réalisés chez différents animaux, corroborant ainsi les résultats de l'étude clinique de JACKSON, en procédant à l'étude clinique de cet acide comme excitant de la phagocytose, SCHULZ, WEISS et GEMAHLICH signalent qu'aucun effet toxique n'a été observé chez l'homme. Ces divergences s'expliquent si l'on considère que ces deux types de propriétés, antitumorales et prophagocytaires se manifestent à des doses thérapeutiques très différentes, autour de 1mg/Kg chez la Souris pour les premières et vers 0,02 mg/Kg pour les secondes. Or si la DL.50 se situe à 16 mg/Kg chez la Souris, le seuil de toxicité chronique est beaucoup plus bas, de l'ordre de 1 à 2 mg/Kg chez ce même animal, ce qui confirme les premières constatations de JACKSON.


Les considérations qui précèdent, ainsi que le très petit nombre des travaux concernant les modifications de la structure de bas de l'acide aristolochique, nous ont incité à nous engager dans cette voie de recherche, D’autant plus que la présence d'un noyau phénanthrénique est assez peu répandue dans les structures de produits issus du métabolisme végétal et que les produits naturels nitrés sont très rares. Toutes ces caractéristiques chimiques confèrent à la structure de l'acide aristolochique une originalité certaine par rapport aux familles d'alcaloïdes classiques. D'autre part, la relative complexité de la molécule pouvait laisser supposer que des analogues simplifiés seraient peut-être moins toxiques et présenteraient une activité comparable ou même supérieure à celle de la molécule modèle dont on a vu que la toxicité limite l'utilisation thérapeutique, d'une manière rédhibitoire


Les indications de la littérature relatives à l'activité antitumorale des molécules qui possèdent une des trois fonctions caractéristiques de l'acide aristolochique, sont peu significatives. En ce qui concerne la partie phénanthrénique, des centaines de substances à noyaux aromatiques condensés ont été testées, mais pour les molécules douées d'un haut niveau d'activité le ou les groupements greffés sur le squelette phénanthrénique peuvent être considérés, de toute évidence, comme les principaux responsables des effets observés. Il en est ainsi pour les composés des types XII, XIII, XIV, dont une mise au point récente signale l'excellente activité.


Parmi les molécules nitrées douées d’un pouvoir antitumoral, on peut relever la nitrofurasone XV, la myélone XVI et la thiamiprime XVII.


Aucune corrélation simple n'apparaît entre les structures de ces composés et cette activité.


Quant au groupement éthylènedioxyle, on note sa présence dans des molécules naturelles possédant une activité antitumorale, telles que l'hanmgtonime XVIII, la narciclasine XIX, la podophyllotoxine XX, et le burseran XXI par exemple.


On ne voit, ici encore, aucune corrélation permettant d'orienter les recherches vers un motif plus simple, doué des mêmes propriétés.


Cette première tentative d'approche montre que, sans négliger une démarche analytique basée sur l’étude des propriétés biologiques de molécules possédant une des fonctions de l'acide aristolochique prise isolément ou simultanément deux d'entre elles, il est, de toute évidence, nécessaire d'envisager un cheminement plus rationnel portant sur des modifications limitées du nombre, de la nature et de la position des substituants, à partir de l'acide aristolochique pris dans sa pluralité fonctionnelle. Une voie intermédiaire peut aussi être envisagée : elle consiste à modifier le squelette phénanthrénique, tout en respectant la nature des fonctions de la molécule modèle.


Ces différentes démarches expérimentales sont résumées dans le schéma I et seront développées dans les chapitres suivants de ce travail. On verra que nos recherches dans le domaine des analogues simplifiés de l'acide aristolochique se sont révélées fructueuses, un grand nombre de séries étudiées s'étant avérées cytotoxiques sur cellules tumorales en culture, et cette activité nous a conduit à envisager une hypothèse concernant leur mode d'action chimique, au niveau cellulaire, hypothèse que nous avons vérifiée par ailleurs en procédant à des études cinétiques simples et à une analyse prévisionnelle de la structure active optimale, par des calculs de mécanique ondulatoire. Ce sont ces résultats qui font l'objet de notre mémoire.



CONCLUSION


Arrivé au terme de cet exposé, il importe d’établir un bilan des résultats obtenus, et d'examiner les perspectives de recherches offertes par ce travail.


Nos résultats ont montré, sur le plan pharmacologique qu’un nombre considérable de composés possédant le groupement nitrovinylique de l'acide aristolochique sont doués d'activité cytotoxique antitumorale, mais que, si ces propriétés se vérifient in-vivo sur ascite de KREBS, il n'est pas de même sur la souche L.1210.

Cependant, il ressort de notre étude qu’une possibilité d'utilisation de ces composés en thérapeutique humaine est improbable, par suite d'une variation parallèle de leur activité antitumorale et de leur toxicité, ce qui revient à dire que leur coefficient chimiothérapeutique est toujours faible. Toutefois, on peut envisager d'écarter cette difficulté en associant deux notions déjà évoquées au cours de travail : celle de site actif masqué et celle de groupement vecteur. Des composés a double liaison éthylénique activée potentielle sur lesquels seraient greffes des radicaux susceptibles de constituer des maillons élémentaires de synthèse cellulaire et d'assurer leur transfert à travers un organisme vivant, pour-raient peut-être apporter une réponse au problème posé.


L'apport principal de notre travail parait donc se situer exclusivement sur le plan de la recherche fondamentale : établissement d'une corrélation entre l'activité antitumorale de diverses séries de molécules et leur possibilité de se fixer sur des sites nucléophiles cellulaires.


En ce qui concerne leur place dans la classification des produits antitumoraux, les composés que nous avons préparés et étudiés constituent une nouvelle classe de molécules actives qui peuvent être rangées parmi les agents alcoylants, mais sont spécifiquement caractérisés par la présence d'une double liaison éthylénique activée constituant le support reconnu de leur activité.


On peut situer dans cette nouvelle classe, des composés électrophiles dont les actions antitumorales avaient été signalées antérieurement et qui renferment dans leurs molécules une double liaison activée : méthylènes-lactones macrocycliques, sarcomycine, aldéhyde triméthoxy 3,4.5 cinnamique. Leurs effets antitumoraux résultent vraisemblablement du même mode d'action chimique au niveau cellulaire.


D'autre part, le parallélisme avec les agents alcoylants classiques (moutardes à l'azote, éthylène-imines, époxydes. etc.) réside à la fois dans l'absence de sélectivité de l'action thérapeutique et dans la similitude de l'action chimique. Il est, en effet, démontré que l'activité antitumorale des moutardes à l'azote et des éthylène-imines est liée à l'addition d'un groupe nucléophile, au niveau cellulaire, selon le schéma :


Par ailleurs, si l'on considère que le groupement nitrovinyle plus ou moins conjugué est à l'origine de l'activité biologique, on peut penser qu'un groupe nitro en position mésophénanthrénique serait susceptible de conduire dans certains cas. à des molécules antitumorales. Il parait donc intéressant d'envisager la synthèse de produits doués d'une telle activité à partir d'hydrocarbures cancérogènes ni très sur leur zone K, On a signalé, en effet, que le pouvoir cancérogène de ces hydrocarbures disparaît après nitration en zone méso (cas du benzo-3,4 pyrène).


Des recherches dans ce sens permettraient peut-être d'éclaircir un domaine assez controversé de la chimiothérapie antitumorale, celui qui concerne la coexistence de propriétés antagonistes dans une même famille chimique. On peut envisager deux types d'addition distincts avec les électrons II d'une double liaison pseudo-éthylénique provoquant soit une induction soit une inhibition de la cancérogenèse : de nombreux auteurs interprètent, en effet. l’activité tumorigène des hydrocarbures aromatiques à cycles condensés par une interaction de leur zone K et, accessoirement, de leur zone L, avec des protéines cellulaires, et par ailleurs, nos résultats indiquent que l’addition d'un groupement nucléophile selon MICHAEL exerce un effet contraire.


En résumé, par toutes les questions qu'elles soulèvent ces recherches paraissent devoir être le point de départ de nouveaux travaux en chimie antitumorale.





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