LAVIEILLE : Etude botanique, chimique et physilogique du kaa he-e

Document disponible au laboratoire de chimie du Muséum National d’Histoire Naturelle
63 rue Buffon 75005 Paris

Site créé le 24 octobre 2004 Modifié le 10 février 2006
Plus d'information! Table des matières de la thèse Copie de la page de couverture


Thèse de pharmacie présentée à la Faculté de Pharmacie
Université de Paris
pour obtenir le grade de Docteur de l'Université de Paris

par

R. Lavielle

Contribution à l'étude botanique, chimique et physiologique du KAA HE-E



soutenue en 1932
devant la commission d'examen :
Bougault, président
Hérissey, Fleury, examinateurs



INTRODUCTION

Historique


Le Kaà hê-é (Stevia Rebaudiana BERTONI ; Composées) est une plante spontanée, originaire du Paraguay. Ce nom, ainsi que ceux «d'Azuca-cà-a et d'Eira cà-a» sous lesquels on la désigne encore dans ce pays, lui viennent de sa saveur sucrée remarquable et signifient en langue guarani : «herbe sucrée, herbe mielleuse». C'est d'ailleurs sous le nom «d'herbe sucrée du Paraguay» qu'elle a été et est encore désignée quelquefois en Europe.


Cette plante ne paraît pas avoir été très anciennement connue. Son existence fut en effet signalée pour la première fois en 1887 ; les quelques renseignements recueillis, provenant alors d'indiens et de baqueanos indigènes étaient d'ailleurs très vagues, et, ce n'est que quelques années plus tard que le Dr M. BERTONI, savant botaniste du Paraguay put avoir la certitude de l'existence de cette plante et de ses propriétés édulcorantes. Il s'agissait d'une plante rare, juste connue à cette époque de quelques yerbateros du Nord Est. Les indiens, disaient-ils, mélangent en petite proportion les feuilles réduites en menus fragments à l'Yerba Maté afin de rendre plus agréable cette boisson naturellement amère ; ils lui attribuent en outre la réputation d'une véritable panacée et même des propriétés curatives dans la lèpre et la syphilis."


Malheureusement le Kaà hê-é poussait dans la campo, région septentrionale du Paraguay, à peu près déserte, et où les communications, par suite du manque de voies de pénétration, étaient et sont encore de nos jours très difficiles. Cet état de choses devait sérieusement entraver l'étude de la drogue.


En 1899 le D" BERTONI arriva à se procurer quelques fragments de tiges et de feuilles, ainsi que des restes d'inflorescences ; mais, malgré toutes les supplications et offres de prix, il fut obligé d'attendre jusqu'en 1904 pour pouvoir s'en procurer un échantillon complet par l'intermédiaire du R. P. LORENZO A. ESTIGARRIBIA, curé de SAN PEDRO. Il put alors en faire une description exacte.


Dès 1899, le D' BERTONI reconnut cependant qu'il s'agissait d'une espèce nouvelle et la décrivit sous le nom d'Eupatorium Rebaudianium sp. n.


En 1905, donnant la description d'une plante qu'il avait cultivée il montre qu'elle n'appartient pas au genre Eupatorium, mais au genre Stevia. Elle possède en effet, quelques rapports avec des plantes de ce genre : Stevia polycephala, BACKER, S. Collina, GARD, et S. veronicae D. C. Il décrit alors en détails le Kaà hê-é sous le nom de Stevia Rebaudiana BERTONI, nom sous lequel on le désigne maintenant. Un an plus tard, HEMSLEY, dans le Hooker's Icônes plantarum décrit la plante et la classe à son tour dans le genre Stevia.


La saveur extraordinairement sucrée du Stevia Rebaudiana devait attirer rapidement l'attention des chercheurs ; il était en effet intéressant d'essayer d'élucider la composition chimique de cette plante, de savoir à quel principe pouvait être dû son énorme pouvoir édulcorant.


La première étude chimique fut entreprise par OVIDIO REBAUDI, en 1900, sur un échantillon que lui avait remis BERTONI. Puis en 1908, RASENACK s'étant procuré quelques kgs. de drogue par l'intermédiaire du consul allemand à Assomption, en entreprit également l'étude. Après de longs tâtonnements, il réussit le premier à isoler un produit cristallisé, à pou-voir sucrant énorme ; mais, ne disposant que d'une quantité insuffisante de ce produit, il ne pût en approfondir l'étude.


Presque en même temps, KARL DIETERICH, directeur du laboratoire d'Helfenberg, retrouvait le corps cristallisé signalé par RASENACK ; il mentionnait en outre l'existence d'un deuxième corps qu'il n'avait .pu, malgré plus d'un an d'efforts, obtenir cristallisé.


Ce sont là, à notre connaissance, les seuls travaux ayant été effectués sur le Kaà hê-é ; par la suite, parurent de nombreuses notes dans les Nouveaux Remèdes, le Kew Bulletin ; les Annales de la Drogue, le Bull. soc. nat. Accl., la Revue internationale des renseignements agricoles etc..., mais toutes ne sont que des résumés des travaux des auteurs précédents et n'apportent aucun renseignement nouveau sur le Stevia Rebaudiana.


Comme on le voit par ce bref historique, si la plante, au point de vue botanique, avait été minutieusement décrite par le DT BERTONI, la constitution chimique n'était encore qu'ébauchée. Il nous a donc paru intéressant de reprendre l'étude du Kaà hê-é au point de vue de la description anatomique de la plante, ce qui n'avait pas été fait jusque-là, puis surtout au point de vue de la composition chimique.


Les premiers essais que nous avons effectués au laboratoire ont été fait sur un kg. de plante qui nous a été remis par M. le Dr POMARET. C'est également par son intermédiaire que M. CARLOS SOSA, ancien sous-secrétaire d'Etat de la République du Paraguay, nous a expédié une quantité importante de Kaà hê-é qui nous est parvenu en parfait état de conservation. Je suis heureux de remercier tout particulièrement M. CARLOS SOSA pour ce généreux envoi. Je n'ignore pas les nombreuses difficultés matérielles auxquelles il s'est heurté : il a été en effet obligé, pour récolter une telle quantité de drogue, de mettre sur pied une véritable expédition en zone tropicale. Devant un tel désintéressement, je ne puis qu'assurer M. CARLOS SOSA de ma plus vive gratitude pour m'avoir fourni les matériaux indispensables à l'étude qui fait l'objet de cette thèse.


Ce travail se divise de la façon suivante :

La première partie est consacrée à l'étude botanique du Kaà hê-é. En ce qui concerne la partie systématique, il nous a paru bon de rappeler, pour cette plante peu connue en Europe, la description qu'en a fait en latin le botaniste BERTONI. Au point de vue morphologie, nous avons voulu voir si la plante ne présente pas quelque particularité. Nous avons étudié la feuille et la tige de Stevia Rebaudiana, soit sèches, soit à l'état frais, un pied de St. R. existant dans les serres du Muséum d'Histoire Naturelle.


La deuxième partie comprend l'étude du principe sucré du Kaà- hê-é et se divise ainsi :


1. Résumé des travaux antérieurs.

2. Essais de caractérisation d'un glucoside dans les feuilles et dans les tiges du Stevia Rebaudiana. par la méthode biochimique, puis par hydrolyse acide.

3. Extraction du glucoside (Stévioside).

4. Existence d'un seul glucoside sucré dans la plan-te, la rebaudine de DIETERICH n'étant que du stévioside impur.

5. Etude des propriétés physiques et chimiques de ce glucoside.

6. Hydrolyse fermentaire du stévioside ; produits d'hydrolyse diastasique et d'hydrolyse acide.

7. Formule du stévioside.


ROBERT, ayant en 1915, fait entrer les corps isolés par DIETERICH dans la catégorie des saponines, nous avons été amenés dans la Troisième partie à étudier l'action physiologique du Stévioside retiré du Kaà hê-é.


Le travail se termine par les principales conclusions dégagées de nos recherches.



CONCLUSIONS.

I. Le Kaà hê-é, petite plante herbacée originaire du Paraguay, à saveur très sucrée, appartient au genre Stevia du groupe des Eupatoriées (Composées). Elle a été décrite par le botaniste BERTONI sous le nom de Stevia Rebaudiana. La morphologie interne de la tige et de la feuille est celle du groupe des Eupatoriées. Des poils «d'aspect boudiné» et des poils sécréteurs logés dans les cryptes de l'épiderme inférieur de la feuille semblent caractériser cette espèce.


II. Le Stevia Rebaudiana BERTONI renferme un principe possédant une saveur sucrée considérable. Ce principe est un glucoside qui a été extrait pour la première fois à l'état cristallisé par RASENACK, en 1908, puis par DIETERICH, en 1909. L'étude de ce principe que nous appelons le stévioside n'ayant été qu'ébauchée par ces auteurs, nous l'avons reprise, et nous avons obtenu les résultats suivants :


Les feuilles de Stevia Rebaudiana Bertoni fournissent, par le procédé que nous avons décrit, 60 à 65 g. de stévioside par kg., ce qui est un rendement intéressant. Les tiges renferment beaucoup moins de principe sucré ; nous en avons retiré 3 g.,60 par kg.

Le stévioside pur cristallise en prismes allongés, incolores et constitue une poudre blanche, légère. Il possède une saveur sucrée considérable que l'on peut estimer 300 fois supérieure a celle du sucre.

Ce serait donc le produit naturel le plus sucré que l'on connaisse.

Il fond au bloc Maquenne, instantanément, à +238°-239°.

Il se conserve à l'air sans altération, mais il augmente ou diminue de poids suivant l'état hygrométrique de l'air.

Il est lévogyre, [a]D = - 31°,81 pour le produit anhydre.

Il est soluble dans l'eau, puis la solution se prend en une masse d'aiguilles feutrées, représentant un hydrate à 10,43 p. 100 d'eau, très peu soluble dans l'eau, 0 g.,113 pour 100 cm3, et possédant une saveur moins sucrée que le stévioside.

Le stévioside n'est pas azoté.

Il est hydrolyse par l'acide sulfurique à 5 p. 100, en 3 heures, au bain-marié bouillant en donnant un produit non glucidique cristallisé, insoluble dans l'eau : l'isostéviol, et un sucre réducteur qui a été obtenu cristallisé : le glucose-d. Les proportions de ces constituants sont les suivantes :

Glucose............ 66,84 p. 100

Stéviol............. 40,38 p. 100

Le stévioside qui résiste à l'action hydrolysante de l'émulsine, de la rhamnodiastase, de la poudre d'Aspergillus niger, du macéré de levure basse séchée à l'air, est facilement hydrolyse par le suc digestif de l'Hélix Pomatia et par l'hépatopancréas de cet animal.

L'hydrolyse par le suc digestif est très rapide : en 5 jours, 90,5 p. 100 du stévioside ont été hydrolysés.

Le sucre de l'hydrolyse a été obtenu cristallisé et caractérisé comme glucose-d,


Le produit non glucidique, soluble dans l'éther, le stéviol a été obtenu à l'état pur et cristallisé. C'est un principe lévogyre, [a]D = - 94°66, anhydre, donnant une combinaison potassique soluble dans l'eau, insoluble en présence d'un excès d'alcali et décomposable par le gaz carbonique. Le stéviol n'est donc pas un acide.

Il répond à la formule C20H30O3.

Par hydrolyse acide, le principe non glucidique diffère du stéviol par la forme des cristaux, un point de fusion plus élevé et un pouvoir rotatoire plus faible. Il possède les mêmes propriétés vis-à-vis des alcalis, et répond à la même formule. C'est l'isostéviol qui se forme par l'action de l'acide sulfurique à 5 p. 100 à l'ébullition, sur le stéviol.


Il est difficile, à l'heure actuelle, de se faire une idée de la façon dont peut s'effectuer cette isomérisation dans une molécule aussi complexe que celle du stéviol en C20H30O3.


En s'appuyant sur cette formule du stéviol et de l'isostéviol et sur les proportions de glucose et d'isostéviol qu'on obtient par hydrolyse acide du stévioside, on calcule qu'il faut, pour une molécule de stéviol, trois molécules de glucose avec élimination de trois molécules d'eau pour constituer cet hétéroside.


La formule du stévioside est ainsi C38H60O18 et l'équation de son hydrolyse acide ou diastasique totale est :

qui donne 39,55 p. 100 de stéviol ou d'isostéviol et 67,16 p. 100 de glucose, alors qu'on en a trouvé expérimentalement 40,38 p. 100 et 66,84 p. 100.


Le stévioside serait ainsi le premier hétéroside connu formé par l'union d'un principe non glucidique -avec trois molécules de glucose-d.


Il serait intéressant de trouver un produit fermentaire susceptible d'en effectuer l'hydrolyse en mettant en liberté le stéviol tout en respectant l'enchaînement des molécules de glucose entre elles. Le suc digestif d'Escargot, dans certaines conditions, paraît donner naissance à un ose autre que le glucose ; malheureusement toutes nos tentatives d'extraction de ce produit à l'état cristallisé sont restées infructueuses.


III. Au point de vue physiologique on peut conclure que le stévioside n'est pas une saponine dont il ne possède pas la propriété biologique essentielle : le pouvoir hémolytique, et aussi qu'il n'est pas toxique, même pris à doses très élevées.

 


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