Felkin : Mécanisme de la désamination nitreuse
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Thèse présentée à la Faculté des sciences de l'Université de Paris

pour obtenir le grade de Docteur es Sciences physiques

par


Hugh Felkin

 

Etude du mécanisme de la désamination nitreuse et des transpositions rétropinacolique et pinacolique

 

soutenue le 19 juin 1954

 

devant la commission d'examen :

Bauer, E., président

Prévost, C., Normant, H., examinateurs




INTRODUCTION

 

L'exposé du présent travail est divisé en deux parties

 

(1°) La partie générale, qui comporte cinq chapitres. Après un bref aperçu historique sur la réaction de désamination nitreuse et les transpositions rétropinacolique et pinacolique (chap. l), nous exposons les théories actuelles concernant la réaction de désamination nitreuse (chap. Il); les chapitres III.et IV sont consacrés à une discussion des résultats de nos propres recherches en ce qui concerne le mécanisme de la désamination nitreuse d'une part, celui des transpositions rétropinacolique et pinacolique d'autre part. Enfin, le chapitre V est consacré à l'exposition générale des méthodes expérimentales employées au cours de ce travail et des résultats obtenus,

 

(2°) La partie expérimentale, qui comprend la description détaillée des modes opératoires employés et des composés obtenus.

 

Le but de la présente introduction est d'une part de résumer les différents chapitres de la partie générale et de faciliter la lecture de ces chapitres pris isolément, et d'autre part de dégager et de grouper les conclusions expérimentales et théoriques qui découlent de nos recherches personnelles.

 

Historique.- La réaction de désamination nitreuse des composés aminés aliphatiques primaires est connue depuis plus d'un siècle. Les nombreux travaux qui lui ont été consacrés depuis sa découverte par Piria en 1846 ont montré qu'il s'agit d'une réaction extrêmement générale ; toutes les amines aliphatiques primaires, sans exception, la subissent dans des conditions appropriées.

 

Cependant, malgré sa grande généralité, la désamination nitreuse se trouve parmi les réactions de chimie organique qui possèdent le moins d'applications pratiques ; elle n'est guère employée que dans le dosage des composés aminés primaires (van Slyke) et dans l'élégante méthode d'extension de cycles carbonés de Tiffeneau et Tchoubar.

 

Ce manque d'applications pratiques est dû essentiellement au fait que la désamination nitreuse est une réaction beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer l'équation

R-NH2 + HNO2   ———— R-OH + N2

par laquelle elle est souvent représentée. En réalité, la réaction conduit généralement à un mélange de -produits et le composé hydroxylé R-OH attendu est parfois totalement absent. Dans le cas particulier des aminés simples, le mélange obtenu peut. être constitué par différents composés du type R-Y (Y = OH, Cl, OCOCH3, etc.) accompagnés de composés éthyléniques et de composés (R'-Y et oléfines) résultant d'une transposition moléculaire et possédant une structure différente de celle du composé aminé initial.

 

Entre 1850 et 1930 environ, une masse considérable de faits expérimentaux s'est accumulée concernant la réaction de désamination nitreuse et les transpositions du type rétropinacolique (aminés simples) ou pinacolique (a-amino-alcools) qui l'accompagnent souvent. C'est ainsi qu'ont été mises en évidence tout d'abord l'influence qu'exerce la structure du composé aminé étudié sur la nature des produits de la. réaction et ensuite, dans de nombreux cas, l'influence non moins importante des conditions expérimentales sur la nature de ces produits.

 

Cependant, les premières théories qui ont été émises pour expliquer ces faits expérimentaux sont toutes peu satisfaisantes et le mécanisme, aussi bien de la désamination nitreuse que des transpositions rétropinacolique et pinacolique, est resté obscur pendant très longtemps.

 

Théories actuelles sur le mécanisme de la désamination nitreuse.- Grâce à la théorie électronique de la valence (Lewis) et aux travaux qui s'en sont inspirés (Hückol, Ingold, Meerwein, Prévost, Robinson, Whitmore), de grands progrès ont été réalisés au cours des trente dernières années dans l'interprétation des mécanismes réactionnels. II est apparu en particulier que les composés intermédiaires formés au cours do réactions complexes ne sont pas nécessairement constitués par des corps stables et isolables, mais sont souvent des composés dont la réactivité est telle qu'ils sont impossibles à isoler dans les conditions mêmes de leur formation.

 

D'autre part, ces travaux ont montré qu'il existe un nombre restreint de mécanismes réactionnels fondamentaux et que ces mécanismes pouvant être caractérisés par différentes méthodes qui sont complémentaires. Ces méthodes sont : (l°) l'étude de la cinétique de la réaction; (2°) l'étude de l'influence qu'exerce le milieu réactionnel sur la nature des produits obtenus; (3°) l'étude de l'influence qu'exerce la structure du composé étudié sur la nature des produits de la réaction ; et (4°) l'étude des changements de configuration stérique que subissent les composés optiquement actifs au cours de la réaction.

 

L'application de ces différents critères à la désamination nitreuse a conduit à la conclusion, généralement admise aujourd'hui, que les premiers stades de la réaction sont en tous points analogues à la réaction de diazotation en série aromatique

et que les derniers stades comportent la décomposition de l'ion diazonium aliphatique par un mécanisme du type monomoléculaire, avec formation intermédiaire d'un ion carbonium :

Les données qui étayent cette interprétation du mécanisme de la désamination nitreuse sont les suivantes : stade (a) - cinétique ; stades (b) et (c) - différents raisonnements analogiques ; stades (d) et (e) - influence de la structure du composé aminé et des conditions expérimentales sur la nature des produits obtenus et conséquences stériques de la réaction lorsque celle-ci est appliquée à des composés optiquement actifs. Ces différents arguments, qui ne semblent pas avoir été rassemblés auparavant, sont exposés en détail dans le chapitre II.

 

Théories actuelles sur le mécanisme des transpositions rétropinacolique et pinacolique.- Depuis les travaux classiques de Meerwein, effectués il y a trente ans, il est admis que ces transpositions se font avec formation intermédiaire d'un ion carbonium. Ce fait constitue un des arguments en faveur du caractère monomoléculaire des derniers stades de la désamination nitreuse et explique pourquoi de telles transpositions accompagnent souvent cette réaction.

 

Des recherches récentes (Cram, Hughes, Ingold, Winstein) sur les conséquences stériques et sur la cinétique de ces transpositions ont montré que les ions carbonium formés intermédiairement peuvent appartenir à deux types limites dans le premier, la charge positive se trouve concentrée essentiellement sur un seul atome de carbone; dans le second, cette charge est répartie sur deux atomes de carbone contigus, lesquels sont reliés simultanément par des valences partielles au radical migrateur R.

 

Cette dualité dans la nature des ions carbonium entraîne une dualité correspondante dans le mécanisme des transpositions envisagées.

 

Dans certains cas, le départ du substituant X (X =  dans le cas particulier de la désamination nitreuse) précède la migration possible du radical R (R = H, alcoyle ou aryle) ; l'ion carbonium (A) ainsi formé peut soit réagir avec un des constituants Y du milieu réactionnel pour fournir un produit de substitution "normale" sans migration du radical R, soit se transformer en un ion carbonium (B) isomère, par migration du radical R, lequel ion fournit des produits transposés (mécanisme "A").

 

Dans d'autres cas, le départ du substituant X est accompagné d'un déplacement du radical R ; l'ion carbonium (C) formé peut ensuite réagir avec un constituant Y du milieu réactionnel soit sur C , avec formation d'un produit "normal", soit sur C, avec formation d'un produit transposé (mécanisme "C") :

Telles sont, très brièvement esquissées, les théories actuelles sur le mécanisme de la désamination nitreuse et des transpositions rétropinacolique et pinacolique. Ces théories sont basées sur un ensemble de faits extrêmement vaste ; cependant, aussi bien que les théories elles-mêmes, ces faits présentent certaines lacunes et ce sont ces lacunes que nous nous sommes efforcé de combler dans une certaine mesure dans le présent travail.

 

Exposé d'ensemble

 

Le but de ce travail était de mettre en évidence et d'étudier, en fonction du milieu réactionnel et de la structure du composé envisagé, l'influence des conditions expérimentales sur la nature des composés obtenus lors de la désamination nitreuse des a-amino-alcools. Nous avons ainsi été amené à étudier aussi bien le mécanisme de la désamination nitreuse proprement dite que celui des transpositions (rétropinacolique et pinacolique) qui accompagnent cette réaction. D'autre part, nous avons généralisé certaines constatations expérimentales nouvelles que nous avons faites au cours de ce travail.

 

Désamination nitreuse.- Les a-amino-alcools sont, parmi tous les composés aminés, ceux qui ont été le plus étudiés au point de vue de leur désamination ; en effet, celle-ci est susceptible d'apporter dos renseignements d'un grand intérêt sur les aptitudes migratrices des différents radicaux, et un grand nombre de travaux ont été publiés à ce sujet, surtout entre 1920 et 1940 (Bettzieche, McKenzie, Tiffeneau).

 

Mais ce point de vue a conduit les auteurs à préciser surtout la nature des produits de la transposition qui accompagne en général la désamination, sans se préoccuper de l'influence possible du milieu réactionnel sur l'évolution de la réaction. Malgré les recherches qui avaient mis en évidence l'influence des conditions expérimentales lors de la désamination nitreuse des aminés simples, il semblait que, dans le cas des a-amino-alcools, la nature des produits obtenus était entièrement prédéterminée par la seule structure de l'amino-alcool envisagé. Il était admis, par exemple, que le formation d'un produit de substitution (glycol) au lieu d'un produit transposé (aldéhyde ou cétone), ou accompagnant celui-ci, ne pouvait avoir lieu que lorsque les aptitudes migratrices des radicaux susceptibles de migrer étaient particulièrement faibles.

 

Cependant, il y avait tout lieu de supposer que les derniers stades de la désamination nitreuse de certains a-amino-alcools comportent, comme dans le cas des aminés simples, la formation intermédiaire d'un ion carbonium (A). Ainsi que l'a signalé Mlle Tchoubar en 1946, une telle interprétation laissait prévoir qu'un changement dans les conditions expérimentales habituelles entraînerait un changement correspondant dans la composition du produit de la réaction. En particulier la présence, dans le milieu réactionnel, d'une forte concentration en ions Y- (Y = Cl ouCH3-COO, par exemple) devait être susceptible d'entraîner l'apparition, parmi les produits habituels de la réaction [glycol (II) et cétone (III)], d'un mono-ester (I, Y = Cl ou CH3COO) du glycol (II) par la réaction entre ces ions et l'ion carbonium (A) :

La formation d'un tel mono-ester serait en tous points analogue à la formation des composés R-Y (Y = Cl ou CH3COO) dans le cas dos aminés simples.

 

Les différentes recherches que nous avons effectuées sur la désamination d'a-amino-alcools de types variés ont conduit à des résultats qui confirment la prévision de Mlle Tchoubar : les conditions expérimentales exercent une influence considérable sur la nature des produits obtenus lors de la désamination nitreuse des a-amino-alcools. Cependant, nous avons constaté que ces résultats ne cadrent pas tous avec le mécanisme monomoléculaire communément admis, et nous avons été amené à conclure que la désamination peut également s'effectuer dans des conditions appropriées, par d'autres mécanismes qui ne comportent pas le passage par un ion carbonium. Nous avons, par la suite, confirmé et généralisé cette conclusion en étudiant la désamination de deux amines simples, la néopentylamine et 1'a-phényléthylamine optiquement active.

 

Transpositions rétropinacolique et pinacolique.- Dans le cadre de ce travail sur la désamination nitreuse, nous avons étudié, du point de vue théorique, le mécanisme des transpositions qui accompagnent souvent cette réaction. Il existe en effet des contradictions, déjà signalées par Tiffeneau, dans l'interprétation actuellement admise de certains aspects des transpositions rétropinacolique et pinacolique, notamment en ce qui concerne les aptitudes migratrices relatives des différents radicaux aliphatiques et aromatiques d’une part, et de l'hydrogène d'autre part.

 

De nombreux travaux ont été effectués (Tiffeneau) sur des réactions transpositrices où il y a possibilité de choix entre deux ou plusieurs radicaux (R, R' = H, alcoyle ou aryle) susceptibles de migrer :

 

Ces travaux montrent que les radicaux aryle et alcoyle sont très différents en ce qui concerne les rapports entre leurs aptitudes migratrices et leur pouvoir donneur d'électrons (capacité affinitaire). Tandis que pour les radicaux aryle, les aptitudes migratrices et les capacités affinitaires vont souvent de pair, c'est-à-dire que ceux dont les capacités affinitaires sont les plus fortes présentent généralement des aptitudes migratrices plus marquées, il n'en est plus de même pour les radicaux alcoyle et l'hydrogène, dont les aptitudes migratrices sont en général d'autant plus faibles que les capacités affinitaires sont plus fortes.

 

Ces règles ne sont pas absolues et comportent un certain nombre d'exceptions : les aptitudes migratrices des différents radicaux ne sont pas des propriétés intrinsèques mais dépendant de la structure de la molécule dans son ensemble (Tiffeneau).

 

Cependant, malgré ces exceptions, les règles énoncées sont suffisamment générales pour permettre d'envisager entre les deux groupes de radicaux (aryle et alcoyle) des différences profondes dont la nature restât à élucider. En effet, il n'existait, au moment où nous avons entrepris le présent travail, aucune explication valable ni de ces différences, ni de certaines des exceptions observées, notamment en ce qui concerne les aptitudes migratrices de l'hydrogène.

 

Nous avons ainsi été amené à rassembler et à confronter les différents résultats obtenus lors de la désamination des composés aminés et à envisager d'un point de vue nouveau les différents facteurs dont dépendent les aptitudes migratrices des radicaux et la nature des produits obtenus lors de réactions susceptibles de conduire à des transpositions de ce type. Cette étude théorique nous a permis de proposer une explication rationnelle des anomalies apparentes observées antérieurement.

 

Etudes connexes.- Les travaux que nous avons effectués sur la synthèse et la désamination des a-amino-alcools nous ont amené à faire un certain nombre de constatations expérimentales nouvelles qu'il nous a paru intéressant d'approfondir et de généraliser. Ces différentes recherches concernent : (l°) la synthèse d'a-amino-acides du type (R)2CNH2-COOH ; (2°) les réductions sélectives au moyen de l'hydrure d'aluminium et de lithium; et (3°) l'oxydation de certains époxydes et cétones par l'acide périodique.

 

Conclusions

Dans ce qui suit, nous nous efforcerons de dégager les principales conclusions expérimentales et théoriques auxquelles nous ont conduit les résultats obtenus au cours du présent travail. Certains de ces résultats et conclusions ont déjà été sommairement exposés dans des notes et communications préliminaires (Felkin, 1948, 1948a, l948b, 1950, l950a, 1951, 1951b, 1952, 1953).

 

Conclusions expérimentales.- Les conclusions expérimentales de ce travail concernent d'une part la préparation et la désamination des composés aminés que nous avons étudiés, et d'autre part les études expérimentales connexes que nous avons entreprises.

 

(1°) Préparation des amino-alcools - Les a-amino-alcools que nous avons préparés appartiennent à deux types : R-CHNH2-COH(R’)2 et (R’)2CNH-CH2OH.

Ceux du premier type, R-CHNH2-COH(R’)2 , ont été préparés par la voie habituelle en faisant agir un organo-magnésien R’MgX sur le chlorhydrate d’amino-ester R-CHNH2-COOR". Tous (R = H, R’ = C6H5 ; R = C6H5, R’ = C2H5, CH2C6H5, C6H5) sauf un (R = H, R’ = C7H15) ont déjà été décrits.

 

Par contre, lorsque nous avons entrepris ce travail, il n’existait aucune méthode générale de préparation des amino-alcools du second type, (R)2 CNH2-CH2Oh, dont un seul (R = CH3) avait été décrit. Après différentes tentatives infructueuses nous avons élaboré une méthode permettant d’obtenir un de ces composés (R = CH2C6H5). Elle consiste en 1a réduction au moyen de l’hydrure d’aluminium et de lithium, suivie d’hydrolyse, de l’acétamide-ester (R’)2 C(NHCOCH3)-COOR’.

 

Nous décrivons également différentes tentatives de synthèse d’un a-amino-alcool éthylénique R-CH=CHNH2-COH(R')2 dont nous voulions étudier la destination. Ces tentatives n'ont pas abouti.

 

(2°) Influence des conditions expérimentales et de la structure du composé initial sur la nature des produits de la domination nitreuse des amine-alcools.- L’étude de la désamination nitreuse de différents amino-alcools, dans des conditions variables, a confiné la prévision de Mlle Tchoubar concernant 1’influence du milieu réactionnel sur la nature des produits obtenus. En effet dans tous les cas que nous étudiés, nous avons montré qu’un changement approprié des conditions expérimentales habituelles entraîne une modification sensible, et parfois même radicale, dans la composition du produit de la réaction.

 

Une expérience a été effectuée en présence d’alcool et d’acide acétique ; elle a conduit à la formation, à côté du glycol et de la cétone normalement attendus, d’une certaine proportion, déterminée par dosage, de mono-acétine et de mono-éther du glycol.

 

Les autres expériences ont été effectuées en présence d’acide chlorhydrique, soit en milieu aqueux (eau, ou eau + dioxane), soit en milieu anhydre (dioxane).

 

L’acide chlorhydrique a été choisi car les chlorhydrines obtenues sont facilement dosables dans le produit de la réaction ; par contre, le dosage des autres constituants de ce produit (glycol et cétone) a présenté des difficultés inattendues que nous n'avons que partiellement surmontées

 

Dans certains cas, les produits de la réaction (chlorhydrine, glycol, cétone) ont été isolés à l'état pur et caractérisés.

 

Tous les a-amino-alcools dont nous avons étudié la désamination en présence d'acide chlorhydrique ont fourni une certaine proportion de chlorhydrine correspondante. La proportion de chlorhydrine formée dépend d'une part des conditions expérimentales et d'autre part de la structure de 1'amino-alcool étudié.

 

En ce qui concerne les conditions expérimentales, la formation de chlorhydrine est favorisée par le présence d'une forte concentration en acide chlorhydrique et, encore plus, par l'absence d'eau. La proportion de chlorhydrine formée est plus forte dans un milieu anhydre contenant une faible concentration d’acide chlorhydrique que dans un milieu aqueux contenant une forte concentration de cet acide.

 

En ce qui concerne la structure de l'amino-alcool, la formation de chlorhydrine  est favorisée par la présence d'un radical à fortes capacités affinitaires (phényle) sur l'atome de carbone initialement porteur de l'azote, et par l'absence d'un tel radical sur l'atome de carbone porteur de l'hydroxyle.

 

Lorsque les différentes conditions favorables (milieu anhydre, forte concentration en acide chlorhydrique, présence d'un radical phényle sur l'atome de carbone qui est le siège de la substitution) sont réunies, la formation de chlorhydrine devient pratiquement exclusive.

 

L’influence des conditions expérimentales sur la formation concomitante de glycol et de cétone a également été étudiée. En milieu aqueux, lorsque la concentration en acide chlorhydrique augmente, la chlorhydrine obtenue se forme surtout aux dépens de la cétone; au contraire, pour une même concentration en acide chlorhydrique, lorsque la concentration en eau diminue, la chlorhydrine se forme aux dépens aussi bien du glycol que de la cétone.

 

Il résulte de cette étude que la composition du produit obtenu lors de la désamination nitreuse d’un a-amino-alcool n’est pas entièrement prédéterminée par la structure de celui-ci, comme on le croyait jusque présent, et qu’il est possible de la faire varier d'une façon prévisible en modifiant les conditions opératoires.

 

(3°) Influence des conditions expérimentales sur la nature des produits de la désamination nitreuse de la néopentylamine. - II est connu que la désamination de la néopentylamine dans les conditions habituelles (milieu aqueux) conduit exclusivement à des produits transposés (alcool amylique tertiaire et amylènes). Nous avons préparé cette amine par réduction de l'amide correspondant au moyen de l'hydrure d'aluminium et de lithium, et nous avons montré que sa désamination au moyen du chlorure de nitrosyle en milieu anhydre (dioxane) conduit, à côté des produits transposés, à la formation d'une faible proportion de chlorure de néopentyle.

 

(4°) Influence des conditions expérimentales sur les conséquences stériques de la désamination nitreuse.- Nous avons étudié, dans différentes conditions, la désamination nitreuse de 1'a-phényléthylamine optiquement active, avec obtention du chlorure correspondant. L'amine a été préparée par la voie habituelle à partir de l’acétophénone, et dédoublée (partiellement) au moyen d'acide tartrique.

 

Nous avons montré que les conséquences stériques de la désamination de l'a-phényléthylamine dépendent étroitement des conditions expérimentale.

 

En milieu aqueux, la configuration du chlorure obtenu n'est que faiblement influencée par la concentration du milieu en acide chlorhydrique ; la réaction entraîne toujours une racémisation presque totale (avec parfois une très faible inversion de l'ordre de 1 à 3 %).

 

En milieu dioxanique anhydre, la réaction effectuée avec du chlorure de nitrosyle conduit à une conservation partielle (environ 40 %) de la configuration spatiale ; comme en milieu aqueux, cette conséquence stérique n'est que faiblement influencée par la concentration du milieu en acide chlorhydrique.

 

Enfin, la désamination de 1 'a-phényléthylamine dans la pyridine anhydre au moyen du chlorure de nitrosyle conduit à une inversion partielle (environ 10 %) de la configuration spatiale.

 

(5°) Synthèse d'a-amino-acides du type (R)2 CNH2-COOH.- La recherche d'une méthode de préparation des a-amino-alcools du type (R)2 CNH2-CH2OH nous a amené à étudier la synthèse des a-amino-acides correspondants. Nous avons préparé des dérivés de ces composés par trois voies différentes.

 

En premier lieu, nous avons montré que la transposition de Beckmann, appliquée aux b-oximino-esters CH3-C(=NOH)-C(R)2-COOC2H5, conduit aux a-acétamido-esters (R)2 C(NHCOCH3)-COOC2H5, accompagnés de leurs produits d'hydrolyse (R)2 C(NHCOCH3)-COOH et (R)2 CNH2-COOH. Cette réaction a été effectuée avec deux oximino-esters (R = C2H5, C4H9) ; elle a échoué avec un troisième (R = CH2C6H5).

Cette réaction constitue une nouvelle méthode d'obtention de certains a-amino-acides. Il n'existe aucune corrélation apparente entre l'aptitude des b-oximino-esters à se transposer et leur aptitude à se cycliser. En effet, les deux oximino-esters (R = C2H5 et CH2C6H5) se sont cyclisés avec une très grande facilité (formation d'isoxazolone) alors que l'oximino-estcr  (R = C4H9) n’a pu être cyclisé.

 

En deuxième lieu, nous avons préparé l'acétamido-ester (R = CH2C6H5), que nous n'avions pu obtenir par la transposition de Beckmann, par action de l'acide azothydrique (Schmidt) sur le céto-ester CH3-CO-C(R’)2-COOC2H5.

 

Enfin, nous avons préparé l'amino-acide (R = C6H5) par hydrolyse, au moyen de la baryte,, de la diphénylhydantoïne.

 

(6°) Réductions sélectives au moyen de l'hydrure d'aluminium et de lithium.- Par^la synthèse d'un acétamido-alcool (R)2C(NHCOCH3)-CH2OH (R = CH2C6H5) à partir de l'acétamido-ester correspondant (R)2 C(NHCOCH3)-COOC2H5 au moyen de l'hydrure d'aluminium et de lithium (réduction de la seule fonction ester), nous avons mis en évidence pour la première fois la possibilité d'effectuer des réductions sélectives au moyen de ce réactif.

 

Nous avons généralisé cette observation en montrant que l’hydrure double permet souvent de réduire sélectivement une seule fonction dans les composés comportant deux fonctions différentes, toutes deux réductibles. C'est ainsi qu'il est possible, dans certaines conditions que nous avons précisées, de réduire sélectivement la fonction cétone des oximino-cétones et des cétones chlorées, et la fonction ester des oximino-esters, des nitro-esters et des acylamido-esters.

 

Cette sélectivité dans l'action de l'hydrure d'aluminium et de lithium est susceptible d'avoir un certain nombre d'applications en chimie organique.

 

(7°) Oxydation de certains époxydes et cétones par l'acide périodique.- Les aléas que nous avons rencontrés lors de nos essais de dosage, au moyen de l'acide périodique, des a-glycols présents dans le mélange obtenu lors de la désamination de certains a-amino-alcools, nous ont amené à étudier l'action, de ce réactif sur les autres constituants du mélange.

 

Nous avons pu montrer ainsi que l'acide périodique n'est pas aussi spécifique qu'on ne l'avait cru jusqu'à présent, car il attaque certains époxydes et les arylacétones du type Ar-CHR-CO-R'.

 

Conclusions théoriques.- Les conclusions théoriques de ce travail concernent d'une part le mécanisme des derniers 'stades (R-NN  produits) de la réaction de désamination nitreuse, et d'autre part le mécanisme des transpositions du type rétropinacolique et pinacolique qui accompagnent très souvent cette réaction.

 

(l°) Mécanisme do la désamination nitreuse.-Les résultats obtenus dans le présent travail montrent que la désamination nitreuse, comme beaucoup d'autres réactions en chimie organique, peut se dérouler suivant au moins deux mécanismes différents. Le mécanisme monomoléculaire (a), communément admis, n'est en réalité pas le seul mécanisme suivant lequel peuvent s'effectuer les derniers stades de cette réaction, car il existe, à côté de ce mécanisme, un mécanisme intramoléculaire (b) de désamination, et vraisemblablement aussi, un mécanisme bimoléculaire (c) :

 

Les conséquences aussi bien structurales (formation de produits transposés ou non transposés) que stériques (inversion ou conservation de la configuration, racémisation) de ces trois mécanismes sont différentes ; elles ont permis de les distinguer.

 

Le mécanisme suivant lequel s'effectue la désamination nitreuse dépend des conditions expérimentales choisies et de la structure du composé étudié. L'analyse détaillée d'une part des résultats du présent travail et d'autre part de ceux de certaines recherches antérieures, restées inexpliquées jusqu'alors, ont permis de préciser et d'interpréter dans une certaine mesure 1'influence.de ces deux facteurs.

 

Le mécanisme monomoléculaire (a) comporte comme conséquence stérique une racémisation importante accompagnée d'une inversion partielle de la configuration spatiale ; il peut conduire à des transpositions. La plupart des résultats obtenus antérieurement et les résultats obtenus dans le présent travail, lors de la désamination des a-amino-alcools  et de. l'a-phényléthylamine optiquement active, montrent que la désamination de tous les composés aminés dans un milieu contenant une très forte proportion d'eau se fait presque toujours par ce mécanisme. Ce n'est que lorsque la structure du composé étudié entrave d'une manière quelconque le mécanisme monomoléculaire que la réaction a lieu, même en milieu aqueux par un autre mécanisme (intramoléculaire). S'il a été admis jusqu'à maintenant que le mécanisme monomoléculaire était le seul mécanisme de la désamination nitreuse, cela tient essentiellement au fait que le mécanisme de cette réaction a presque toujours été étudié en milieu aqueux et avec des composés dont la structure ne présentait aucune entrave à l'opération de ce mécanisme.

 

Le mécanisme intramoléculaire (b) comporte comme conséquence stérique la conservation de la configuration spatiale ; il conduit toujours à des composés de substitution "normaux", sans transposition. Ce mécanisme comporte la formation transitoire d'un composé diazoïque covalent, en équilibre avec l'ion diazonium, et le passage par un état de transition cyclique :

 

Les résultats obtenus dans le présent travail, lors de la désamination des a-amino-alcools, de la néopentylamine, et de 1'a-phényléthylamine optiquement active ainsi que dans certaines recherches antérieures, montrent que ce mécanisme est favorisé par des conditions qui déplacent l'équilibre diazonium-diazoïque vers la forme diazoïque. Ces conditions sont d'une part un milieu anhydre (dioxane, acide acétique), moins ionisant que l'eau, et d'autre part, mais à un degré moindre, la présence dans ce milieu d'une forte concentration en anion Y-. L'influence de la structure a été moins nettement précisée; mais les résultats obtenus avec les a-amino-alcools indiquent que le mécanisme intramoléculaire est favorisé par la présence d'un substituant à forte capacité affinitaire (phényle) sur l'atome de carbone qui est le siège de la substitution, et par l'absence d'un tel substituant sur l'atome de carbone porteur du groupement hydroxyle ; d'autre part, ce mécanisme est favorisé par tout facteur structural qui entrave le mécanisme monomoléculaire.

 

Le mécanisme bimoléculaire (c) comporte comme conséquence stérique l'inversion totale de la configuration spatiale ; comme le mécanisme intramoléculaire, il ne doit conduire qu'à des composés de substitution "normaux », sans transposition. Les résultats obtenus dans le présent travail lors de la désamination de l'a-phényléthylamine optiquement active au sein de la pyridine indiquent que dans ces conditions cette réaction s'effectue partiellement suivant le mécanisme bimoléculaire.

 

Cette pluralité de mécanismes lors de la désamination nitreuse, mise en évidence pour la première fols dans ce travail, pose certains problèmes théoriques et ouvre certaines perspectives, tant théoriques qu'expérimentales, que nous avons brièvement esquissés.

 

(2°) Mécanisme des transpositions rétropinacolique et pinacolique. - Nous avons examiné en détail les différents facteurs qui déterminent le mécanisme ("A" ou "C") des transpositions de ce type et la nature des produits auxquels elles conduisent (aptitudes migratrices des radicaux R et R'). Cette étude a conduit à une conception unifiée et cohérente de ces transpositions, qui semble tenir compte de tous les faits expérimentaux actuellement connus.

 

Nous montrons que la relation entre les capacités affinitaires et les aptitudes migratrices des différents radicaux aryle ou alcoyle, et de l'hydrogène, dépend directement du mécanisme même suivant lequel s'effectue la transposition.

 

Lorsque la transposition a lieu par le mécanisme "A", la composition du produit de la réaction est déterminée par la stabilité relative des ions (B et B’) auxquels l’ion initial (A) peut conduire par transposition.

 

Or, l'ion le plus stable, dont dérivera le produit de la réaction, est celui dont le carbone chargé positivement est porteur des radicaux à plus fortes capacités affinitaires. Les radicaux qui ne migrent pas sont donc ceux à capacités affinitaires les plus fortes ou, en d'autres termes, le radical migrateur est celui ayant la plus faible capacité affinitaire.

 

Au contraire, lorsque la transposition a lieu par le mécanisme "C", la composition, du produit de la réaction est déterminée par la stabilité relative des ions (C) et (C’) ;

Or, l'ion le plus stable, dont dérivera le produit de la réaction, est celui dans lequel le radical qui est relié simultanément aux deux atomes de carbone, possède la plus forte capacité affinitaire. Le radical migrateur est donc celui ayant la plus forte capacité affinitaire.

 

Le fait que les aptitudes migratrices et les capacités affinitaires, des radicaux aryle vont généralement de pair, alors que c'est le contraire chez les radicaux alcoyle et l'hydrogène, est dû simplement à ce que la migration des radicaux aryle (à fortes capacités affinitaires) a généralement lieu par le mécanisme "C", alors que celle des radicaux alcoyle et de l'hydrogène (à faibles capacités affinitaires) a généralement lieu par le mécanisme "A". De même, le fait que la migration des radicaux aryle 1’emporte en général sur celle des radicaux alcoyle et de l'hydrogène est dû à ce que lorsqu'il y a possibilité de choix, la réaction se fait de préférence par le mécanisme "C". L'étude des transpositions de composés cyclaniques (extensions et diminutions de cycle) montre que les chaînons de cycles carbonés se comportent en général comme les radicaux aryle.

 

Cependant, ce ne sont là que des règles générales qui présentent un certain nombre d'exceptions : on sait que les aptitudes migratrices ne sont pas des propriétés intrinsèques des radicaux mais dépendent de la structure de la molécule envisagée dans son ensemble. Cela revient à dire que le mécanisme suivant lequel s'effectuent les transpositions rétropinacolique et pinacolique dépend non seulement de la nature du radical migrateur mais également d'autres facteurs. Ces facteurs sont : la nature des radicaux qui ne migrent pas ; la nature du groupement éliminé X ; la configuration spatiale de la molécule ; et la nature des conditions expérimentales.

 

Le premier de ces facteurs (la nature des radicaux qui ne migrent pas) paraît être le plus important et explique en particulier les anomalies apparentes observées en ce qui concerne l'aptitude migratrice de l'hydrogène. Les radicaux aryle à fortes capacités affinitaires, migrent généralement par le mécanisme "C" de préférence à l'hydrogène dont les capacités affinitaires sont très faibles et dont la migration s'effectue par le mécanisme "A" ; cependant, dans certains cas, c'est le contraire qui se passe : l'hydrogène migre de préférence à un radical aryle. On a tenté (Tiffeneau), et on tente encore (Ingold), d'expliquer ce fait en admettant que la réaction s’effectue par un mécanisme vinylique et ne comporte donc pas une véritable migration de l'hydrogène. En réalité, cependant, cette "anomalie" est due à l'influence, sur le mécanisme même de la transposition, des radicaux fixés sur l'atome de carbone porteur (à l’origine) du substituant X qui est éliminé. Lorsque ces radicaux sont à faibles capacités affinitaires, l'ion (C) est plus stable que l'ion (A) , la réaction a lieu « normalement" et la migration d'un aryle, par le mécanisme "C", a lieu de préférence à celle d'un hydrogène, par le. mécanisme « A". Au contraire, lorsque ces radicaux possèdent de fortes capacités affinitaires, ils contribuent à stabiliser l’ion (A).à tel point que c'est cet ion qui se forme lors du départ du substituant X et non l'ion (C) ; dans ces conditions, la réaction a lieu par le mécanisme « A » et c’est l'hydrogène, à faibles, capacités affinitaires, qui migre de préférence à un radical aryle.

 

La conception esquissée ci-dessus a permis d'interpréter un certain nombre de faits restés inexpliqués jusqu'à présent, par la simple étude comparée des aptitudes migratrices et des capacités affinitaires des différents radicaux, elle permet également de déterminer dans de très nombreux cas le mécanisme ("A" ou "C ») suivant lequel s’effectuent les transpositions du type rétropinacolique et pinacolique ; lorsque les aptitudes migratrices et les capacités affinitaires vont de pair, la réaction a lieu par le mécanisme "C"; dans le cas contraire, la réaction a lieu par le mécanisme "A".

 

Cette méthode d'investigation du mécanisme de ces réactions est beaucoup plus générale que celles qui ont été employées antérieurement (étude de la cinétique et des conséquences stériques de la transposition), et qui n'ont pu être appliquées qu'à un nombre de cas relativement restreint. Là où il existe des points de comparaison, les résultats obtenus par ces différentes méthodes concordent.





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