Bodo: Acide bourgéanique
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Thèse présentée à l'Université Pierre et Marie Curie, Paris VI

pour obtenir le grade de Docteur es Sciences physiques

par


Bernard Bodo

 

L’acide bourgéanique : nouveau métabolite des lichens

Structure, synthèse et biosynthèse

 

soutenue le 18 juin 1975

 

 

INTRODUCTION

 

Depuis longtemps les «substances des lichens» ont attiré l'attention des chimistes et, dès 1907, ZOPF publiait une monographie, «Die Flechtenstofîe», sur ce groupe de produits naturels. En effet, si certaines de ces substances sont aussi synthétisées par les Champignons et les plantes supérieures, la plupart sont caractéristiques des Lichens. Plus récemment l'intérêt s'est accru par la découverte de l'activité biologique de certaines d’entre elles et par leur utilité pour l'identification et la classification des quelque 20 000 espèces de Lichens connues.

 

NATURE DES LICHENS

Les Lichens sont des organismes complexes résultant de l'association de deux végétaux. L'un des constituants est chlorophyllien : ce peut être une Algue bleue (Cyanophyte) ou, et c'est le cas le plus fréquent, une Algue verte (Chlorophyte). L'autre constituant est un Champignon supérieur qui appartient presque toujours à la classe des Ascomycètes.

 

Cet état de symbiose fait que les Lichens possèdent certains des caractères de leurs composants et d'autres qui leur sont propres, tant du point de vue botanique, que biochimique ou écologique.

 

Ce sont des végétaux cosmopolites pouvant se développer même dans des conditions climatiques très difficiles où toute autre forme de végétation est impossible : c'est le cas des zones arctiques et des régions de haute altitude où les Lichens constituent l'essentiel de la Pylore. Ils se fixent sur les supports les plus variés : roches, terre, écorces et feuilles d'arbre, mousses... Certains même, comme Lecanora esculenla, sont erratiques.

 

Ils ne sont pas, comme certains auteurs l'ont supposé, une des premières formes de vie, mais ils ont un rôle de pionnier dans la végétation. Leurs besoins modestes, et leur faculté de concentrer les éléments qui leur sont nécessaires à partir de l'air et de l'eau de pluie, leur permettent de coloniser des territoires inhospitaliers à la végétation. En contrepartie, la disparition des Lichens des zones industrielles et urbaines est partiellement due à ce phénomène : ils accumulent les gaz toxiques comme l'anhydride sulfureux à des doses mortelles et peuvent être, de ce fait. utilisés comme indicateurs de pollution. Par ailleurs. ils concentrent les produits de retombées radioactives, polluant ainsi une chaîne alimentaire qui va jusqu’à l'homme.

 

Parmi les autres particularités des Lichens, nous noterons leur croissance très lente (l'accroissement annuel des thalles varie de 0,1 à 20 mm en moyenne) et leur étonnante longévité : les Lichens centenaires sont nombreux et l'on connaît même certains spécimens ayant plusieurs milliers d'années.

 

USAGE DES LICHENS

Les Lichens ont été utilisés occasionnellement comme aliment par l'homme, mais certains grands Lichens, comme les Cetraria ou les Cladonia, fournissent la base de l'alimentation pour de nombreux mammifères du Grand Nord, en particulier pour les rennes.

 

Différentes pharmacopées populaires ont utilisé depuis l'antiquité des Lichens, souvent pour des raisons illusoires : un Lichen jaune (Xanthoria parietina) était recommandé pour le traitement de la jaunisse et Lobaria pulmonaria, à cause d'une apparence extérieure, pour les maladies pulmonaires.

 

On a pu cependant montrer que certaines substances des Lichens avaient une action antibiotique réelle : c'est le cas, par exemple, de l'acide usnique actif contre le bacille de la tuberculose et commercialisé sous le nom « Usno ». Par ailleurs, FUSIKAWA a remarqué des propriétés antiseptiques notables pour les depsides et les depsidones.

 

Les usages industriels ont concerné l'obtention de matières colorantes (orseilles), industrie naguère florissante, et la fabrication de fixateurs de parfums. C'est là la seule utilisation industrielle qui soit encore importante. Notons enfin que l'indicateur de pH appelé tournesol est obtenu à partir de divers Lichens des genres Roccella et Lecanora.

 

LES SUBSTANCES LICHÉNIQUES

Les Lichens accumulent jusqu'à des taux souvent considérables les métabolites qu ils synthétisent. La raison de cette accumulation est encore mystérieuse. Plusieurs hypothèses ont été avancées : — protection de l'algue contre les radiations lumineuses, — protection contre les prédateurs (insectes) et l'envahissement par des bactéries ou d'autres champignons, — contrôle du développement réciproque des partenaires de la symbiose, — modification de la perméabilité des parois cellulaires pour faciliter les échanges entre les symbions, — rôle d'agents chélatants pour capter les éléments métalliques du milieu...

 

Les structures de plus de 200 de ces métabolites ont été établies à l'heure actuelle. Leurs propriétés et leur répartition ont été décrites en détail dans plusieurs ouvrages récents par ASAHINA et SHIBATA, CULBERSON, HUNECK et MOSBACH.

 

Leur nature chimique est très variée et nous n'allons donner qu'un bref aperçu des grands groupes de composés rassemblés sur la base de leur biogenèse.

 

A.— PRODUITS DU METABOLISME PHIMAIRE

I.                         Polyols et carbohydrates

Les polyols et carbohydrates des Lichens sont issus de l'activité photosynthétiquc de l'Algue et plus ou moins transformés par le Champignon. Les polyols les plus répandus sont le D-arabitol, le meso-érythrytol et le mannitol. Les Lichens produisent différents mono- et disaccharides communs aux plantes de façon générale et quelques polysaccharides particuliers comme la lichénine. Certains polysaccharides des Lichens possèdent une activité anticancéreuse et sont actuellement l'objet d'études poussées.

 

2. Composés azotés

Les Lichens renferment des acides aminés semblables à ceux des autres plantes. Deux cyclopeptides ont été isolés : la picroroccelline de Roccella fuciformis et la roccanine de Roccella canariensis.

 

B.— PRODUITS DU MÉTABOLISME SECONDAIRE

Substances biosynthétisées par la voie acétique-polymalonique

a — Acides et lactones aliphatiques

Les Lichens biosynthétisent une série d'acides et d'acides-lactones par condensation d'un acide gras linéaire à longue chaîne (acide palmitique) avec une unité à quatre atomes de carbone (acide oxalacétique) issue du cycle tricarboxylique. On peut citer comme exemples-types les acides rangiformique 1 et protolichestérimque II.

 

Des acides aliphatiques semblables ont été isolés dans des Champignons non lichénisants : acide spiculisporique de Penicillium spiculisporum et acide agaricique de Fomes officinalis

 

b — Composés aromatiques 

1 — Pigments

La coloration jaune ou orangée de nombreux Lichens est due à la présence de naphtoquinones, d'anthraquinones comme la pariétine III pour les genres Xanthoria et Caloplaca, ou de xanthones comme la norlichéxanthone IV de Lecanora straminea.

Ces composés sont formés in vivo par cyclisation d'une chaîne poly-b-cétonique.

 

2 — Benzofurannes

On connaît plusieurs substances ayant un squelette benzofuranne, c'est le cas de l'acide pannarique V ou de l'acide usnique VI. Celui-ci, optiquement actif, est très répandu chez les Lichens.

 

L'acide pannarique est formé par une cyclisation du type orsellinique du précurseur poly-b-cétonique, alors que l'acide usnique est formé par une cyclisation du même précurseur du type phloroglucinol après méthylation.

 

3 — Depsides et depsidones

Les depsides et les depsidones sont les composés les plus communs des Lichens, puisqu'on en a isolé et caractérisé plus de soixante-dix. Les depsides sont constitués par l'estérification intermoléculaire de deux ou trois acides phénoliques. Ceux-ci peuvent être de deux types, A ou B, selon qu'ils se rattachent à l'acide orsellinique VII (R = CH3) ou à l'acide méthyl-3 orsellinique VIII (R' == CH3).

 

Le radical R, dans le cas des unités du type A, peut être un méthyle ou une chaîne aliphatique : C3H7, C5H11, C5H15. Ces unités, comme nous le verrons plus en détail au chapitre III, proviennent de la cyclisation d'une chaîne poly-b-cétonique.

 

Le radical R', dans le cas des unités du type B, est toujours monocarboné à un degré d'oxydation variable : méthyle, formyle... Il est introduit par C-méthylation de la chaîne poly-b-cétonique avant sa cyclisation.

 

On distingue deux groupes de depsides, selon que la liaison ester relie la première unité à une position de la deuxième unité en para ou en meta de sa fonction carboxyle. Le tableau suivant donne un exemple de chaque groupe.

 

Remarquons que la formation des paradepsides est obtenue par simple estérification, alors que celle des méta-depsides implique une hydroxylation nucléaire puisqu'il n'y a pas d'hydroxyle en méta du carboxyle dans les unités orselliniques.

 

Dans certains cas il y a intervention d'une troisième et d'une quatrième unité pour conduire aux tridepsides et tétradepsides respectivement.

 

Les depsidones proviennent vraisemblablement de la cyclisation oxydative des depsides, mais seules quelques-unes ont pu être rattachées à des depsides connus. Elles peuvent être reliées biogénétiquement, comme les depsides, soit à l'acide orsellinique (acide physodique IX. par exemple), soit à l'acide méthyl-3 orsellinique (acide hypoprotocétrarique X, par exemple).

 

Pour toutes les depsidones connues sauf une, dont d'ailleurs la structure est douteuse, la fonction ester est en para de la fonction acide.

 

Les autres depsides et depsidones correspondent à des variations des degrés d'O-méthylation, d'oxydation, de chloruration et de décarboxylation des exemples cités.

 

1. Dérivés de l'acide mévalonique

On ne connaît qu'un diterpène chez les Lichens : le 16a-hydroxykaurane XI, isolé de plusieurs Ramalina. Notons que le (—) kaurène, produit de déshydratation de ce composé est le précurseur des acides gibbérelliques.

 

Les triterpènes sont plus répandus puisqu'on en a caractérisé une vingtaine, leur structure dérive pour la plupart d'entre eux de l'hopane. La zéorine XII en est le plus commun.

Trois stérols seulement ont été isolés : l'ergostérol, le fungistérol et le b-sitostérol. Enfin, le b-carotène a été mis en évidence dans plusieurs espèces de. Roccella.

Le petit nombre de composés d'origine isoprénique trouvé dans les Lichens s’explique vraisemblablement par une recherche insuffisante.

 

2.                                  Dérivés de l'acide shikimique

Cette classe de composés chimiques est représentée par quelques corps, tous très colorés. Ils proviennent de l'acide shikimique par l'intermédiaire de l'acide phénylpyruvique. Nous ne citerons que l'acide polyporique XIII, connu par ailleurs chez les Champignons, et l'acide pulvinique XIV, qui en dérive et qui est le chef de file d'une série.

 

De cet examen rapide des substances lichéniques on peut conclure que ce groupe végétal synthétise essentiellement des composés aromatiques.

 

Au cours d'une recherche systématique des constituants chimiques de Lichens du genre Ramalina nous avons isolé une substance aliphatique de structure inconnue, présentant les caractères d'un acide organique, que nous avons proposé de nommer acide bourgéanique. Ce nouveau composé, qui semble avoir une large répartition, s'est révélé être le premier «depside» aliphatique des Lichens.

 

Nous décrivons, dans cet exposé, l'établissement de sa structure par des fragmentations chimiques et l'utilisation des méthodes spectroscopiques. La synthèse de l'acide bourgéanique et l'examen de ses propriétés chimiques nous ont permis de déduire sa structure spatiale, qui a été confirmée par son spectre de rayons X. Plusieurs hypothèses pouvant être envisagées pour sa synthèse in vivo, nous avons étudié, a l'aide des traceurs radioactifs, par quelle voie cet acide était formé dans la nature.





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