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Mentzer, C.
Initié à l'esprit et aux techniques de la Biochimie dès 1932 par
E. TERROINE, alors Professeur à Strasbourg, je n'ai pu entreprendre mes
premières recherches personnelles qu’en 1935, au retour de mon service
militaire. A cette époque, j'ai eu le privilège de devenir Interne en Pharmacie
à l'Hôpital Necker, dans le service du Professeur R. FABRE, l'actuel Doyen de
la Faculté de Paris. Ce Maître, auquel je dois ma formation, m'a toujours donné
l'exemple du travail, de la persévérance et de la rigueur dans le raisonnement.
C'est lui aussi qui m'a inspiré le sujet de ma première thèse sur les
«oxydo-réductions en biologie», domaine qu'il avait lui-même exploré quelques
années plus tôt.
Entre temps, un stage à l'Ecole des Hautes Etudes m'a permis de
m'initier aux méthodes de la physiologie, sous la direction de J. Gautrelet,
chef du service de Biologie Expérimentale. Par la suite, j'ai compris l'immense
intérêt que présente une connaissance approfondie de la Chimie Organique dans
l'étude des phénomènes de la vie.
Les événements de 1938. puis la mobilisation, m'ont tout d'abord
empêché d'acquérir une telle connaissance, mais entre 1940 et 1942, grâce à des
appuis de l'Industrie privée, j'ai pu m'initier, comme travailleur bénévole,
aux multiples méthodes synthétiques dans le laboratoire de G. DARZENS, ancien
Professeur à l'Ecole Polytechnique.
En 1942 j'ai été chargé par les Ets ROUSSEL de la création d'un
laboratoire de recherches où j'ai pu me consacrer pendant 6 ans à des travaux
fondamentaux dans le domaine de la pharmacodynamie et de la chimie
thérapeutique.
En étroite liaison avec les services de biochimie de la Faculté
des Sciences et tout particulièrement avec Paul MEUNIER, j'ai été ainsi amené
des 1942 à étendre la notion d'antivitamine aux animaux dits supérieurs. Le
concept «d'antagonisme» entre deux molécules analogues est issu des travaux de
WOODS et FILDES (1940) sur l'action compétitive entre le
para-aminophényl-sulfamide et l'acide para-amino-benzoïque. Au début ce concept
semblait s'appliquer uniquement aux micro-organismes. Il a été au départ de
nombreux travaux ayant pour but la création de nouveaux remèdes antimicrobiens.
Malheureusement tous ces travaux ont abouti à des échecs puisque
les «antibiotiques» (pénicilline, streptomycine, etc...) ont fait irruption en
thérapeutique à la suite de considérations entièrement différentes. Par contre,
le jour où avec Paul MEUNIER, nous avons trouve qu'en partant de certaines
vitamines K et en modifiant convenablement leur structure, on aboutit à des
antivitamines correspondantes (1942), il y avait tout lieu d'espérer que, d'une
façon générale toutes les vitamines, ainsi que les métabolites nécessaires aux
organismes supérieurs pourraient à la rigueur servir de modèles en vue de la
création d'antagonistes correspondants.
Nos propres recherches, ainsi que celles de très nombreux
auteurs, ont prouvé par la suite la fécondité de cette hypothèse. Les résultats
acquis dans le domaine des «antivitamines K» ont été consignés dans ma thèse de
sciences naturelles (Paris 1947). Ils ont été condensés l'année suivante à
l'occasion du colloque international sur les «antivitamines» organisé en 1948
par P. MEUNIER à Lyon. avec la participation de WOODS (Angleterre). WOOLLEY
(U.S.A.) et de plusieurs autres chercheurs intéressés par ces problèmes.
Nos travaux ont d'ailleurs eu des conséquences thérapeutiques
puisqu'ils ont abouti en 1947, en collaboration avec P. MEUNIER et D. MOLHO, à
la découverte des propriétés antivitaminiques K de la phényl-indane-dione
(P.I.D. ou Pindione) qui est à l'heure actuelle utilisée dans le monde entier
comme médicament des thromboses (phlébites, embolies, etc...) en raison de son
efficacité à faible dose, de la vitesse de son élimination urinaire et de sa
non toxicité chez l'homme.
Mais bien avant la découverte de ce remède, l'Académie de
Médecine m'avait encouragé dans la voie que j'avais choisie, en m'attribuant le
prix Jansen (partagé avec P. MEUNIER en 1944).
La notion d'antagonisme par analogie structurale m'avait
également permis de prévoir, dès 1942. que l'acide parahydroxy-benzoïque devait
être un facteur de croissance pour certains microorganismes (en collaboration
avec C. LEVADITI). On sait que cette hypothèse a été récemment confirmée par B.
DAVIS qui a effectivement isolé l'acide parahydroxy-benzoïquc en partant
d'extraits de E. COLI, et a précisé son rôle dans la biogenèse des acides
aromatiques.
D'autres recherches effectuées dans le même esprit m'avaient
amené en 1952 à m'intéresser aux analogues structuraux de la sérotonine à une
époque où l'importance des antagonistes clé cette substance n'était pas encore
connue.
Les composés voisins clé l'acide orotiquc présentent un intérêt
en tant qu'éventuels inhibiteurs de la biosynthèse des acides uucléiniques.
De tels composés ont également fait l'objet de recherches dans
mon laboratoire (en collaboration avec Mlle BILLET, puis plus récemment avec
Mme CLERC). Enfin, certains analogues de l'acide diméthyl-acrylique, précurseur
du cholestérol, nous ont permis de contrôler dans une certaine mesure la chaîne
biogénétique qui conduit de l'acide acétique aux substances terpéniques (en
collaboration avec G. ZWINGELSTEIN et J. JOUANNETEAU).
Tous ces travaux montrent à quel point le concept d'analogie
structurale peut être fécond quand on l'applique d'une façon systématique aux
divers mécanismes de la Biochimie dynamique.
A l'occasion des recherches sur les antivitamines K, j'avais été
amené à préparer de nombreuses hydroxy-4 coumarines, analogues du dicoumarol
provenant du mélitot gâté. Au début j'avais recours pour de telles synthèses à
des méthodes classiques dont la généralisation d'ailleurs posait parfois des
problèmes techniques fort difficiles.
A la suite de nombreux échecs, j'ai finalement réussi, grâce à la
collaboration de Mlle G. URBAIN, à mettre sur pied une méthode de synthèse
entièrement nouvelle des hydroxy-4-coumarines.
Très simple dans son principe, cette méthode consiste à condenser
à chaud, sans catalyseur, un phénol avec un ester malonique. Il a fallu pour
cela de nombreux tâtonnements et pondant plusieurs années cette nouvelle
synthèse ne pouvait être considérée que comme un mode de formation, sans
intérêt pratique, de tels dérivés.
Mais entre 1948 et 1956, grâce à la participation de mes élèves
et collaborateurs D. MOLHO, C. BEAUDET et A. VILLE, mais surtout de P. VERCIER
(thèse ingénieur-docteur, Lyon 1952), les rendements ont été dans l'ensemble
portés de 15 à 80 % et à l'heure actuelle ce procédé dit «de condensation
thermique» est un véritable mode de préparation, utilisable industriellement,
des hydroxy-4-coumarines.
La méthode des condensations thermiques m'a permis de rénover
dans une large mesure la chimie des hétérocycles oxygénés. Généralisée aux
esters b cétoniques et aux polyphénols, elle a
abouti à une nouvelle synthèse des «chromones». En partant d'esters dérivés du
benzoylacétate d'éthyle on aboutit à des flavones, etc...
Il y a donc là de nombreuses possibilités qui nous permettent
d'accéder assez aisément à plusieurs groupes de substances très répandues dans
la nature, surtout chez les plantes. Il faut remarquer qu'il existe des
différences très grandes entre les condensations thermiques et les procédés
classiques de PECHMANN, de SIMONIS, etc..., qui ont recours à des catalyseurs,
et dont l'orientation est la plupart du temps différente.
L'ensemble des résultats dans ce domaine, surtout en ce qui
concerne les flavones, a été exposé à l'occasion du colloque international de
chimie sur les hétérocycles oxygénés que j'avais organisé à Lyon, en septembre
1955.
Les dérivés flavoniques constituent un groupe de composés très
répandus dans le règne végétal et encore relativement peu étudié. On en connaît
actuellement une centaine de représentants (sans compter les glucosides qui en
dérivent) mais on a l'impression qu'il en existe en réalité beaucoup plus. Jusqu'ici
leur détection et leur isolement étaient considéré comme difficile et leur
recherche n'a été effectuée que dans un nombre limité d'espèces.
A l'époque où j'ai trouvé la nouvelle synthèse de tels composés.
ERDTMAN, de Stockholm, venait justement de publier ses intéressants résultats
sur l'importance des flavones dans 1a classification des conifères. En général,
les botanistes se méfient, avec raison, des classifications basées sur les
caractères chimiques.
En effet, la plupart des constituants faciles à identifier
présentent une répartition qui est indépendante des facteurs spécifiques et
n'ont aucun intérêt en taxinomie. Il existe évidemment des hydrates de carbone,
des protéines et surtout des acides nucléiniques qui sont propres à une espèce
déterminée, mais l'étude de telles macro-molécules est fort complexe et se
prête difficilement à des recherches systématiques.
Des résultats intéressants ont été obtenus dans le domaine des
alcaloïdes et des terpènes dont la structure semble présenter des relations
très étroites avec la forme des plantes qui les élaborent. Malheureusement, les
systèmes enzymatiques responsables de la biogenèse de telles substances
n'existent pas dans toutes les familles végétales et leur étude ne présente
donc qu'un intérêt très limité. Il en est tout autrement des dérivés
flavoniques et de leurs précurseurs qui sont des constituants tissulaires
universellement répandus chez les plantes supérieures et dont la nature semble
très intimement liée à certaines particularités morphologiques bien
déterminées.
En d'autres termes, l'étude systématique de la biochimie comparée
de ces composés pourrait à l'avenir nous permettre d'élaborer une véritable
«taxinomie chimique» et peut-être même de trouver de nouvelles filiations entre
diverses espèces. Il pourrait en résulter une connaissance plus approfondie de
«l'évolution biochimique», discipline qui est encore embryonnaire à l'heure
actuelle.
Au début de mes travaux dans ce domaine, j'ai pensé que la
chromatographie sur papier des extraits végétaux devait très rapidement nous
permettre un diagnostic biochimique de l'espèce. En effet il existe des
différences considérables entre les chromatogrammes fournis par les extraits
éthérés de bois provenant d'espèces différentes.
Malheureusement, ces chromatogrammes sont assez difficiles à
reproduire et cette méthode simple manque de fidélité. Il arrive aussi qu'une
tache déterminée, visible sur le chromatogramme, renferme plusieurs substances
différentes n'existant qu'à l'état de traces dans la plante analysée. D'autre
part, certains constituants dont la concentration est particulièrement élevée
(par exemple la dihydrowogonine du merisier) ne sont pas directement décelables
par chromatographie. La possibilité que j'avais de préparer par une synthèse
sûre, les flavones de référence de structure connue, m'a rendu d'énormes
services dans l'identification des taches visibles sur le chromatogramme et je
dois avouer que je n'aurais pas pu entreprendre de recherches sur la nature des
constituants des bois, si je n'avais pas eu cette méthode en mains.
N'ayant pas réussi à classer les végétaux
par simple chromatographie sur papier, j'ai pensé qu'il devait être possible
d'aboutir à des résultats plus nets en isolant dans chaque cas les constituants
flavoniques des plantes. Au cours d'une étude approfondie du merisier (Prunus
avium) j'ai été ainsi amené (avec mes collaborateurs H. PACIIECO et A.
VILLE) à mettre au point une méthode de fractionnement particulièrement
efficace, qui nous a permis jusqu'ici d'identifier avec certitude quinze flavones
différentes dans cette espèce. Aucune plante (à notre connaissance) ne présente
une composition aussi variée de ce point de vue.
Parmi les corps ainsi isolés, celui que
nous avions appelé «3B2» n'avait pas encore été décrit précédemment. L'étude de
cette substance nouvelle nous a permis de la considérer comme une
dihydrowogonine, structure que nous venons de vérifier par plusieurs méthodes
de synthèse (en collaboration avec J. CHOPIN-, D. MOLHO et Mlle GERPHAGNON).
Notons que les autres espèces de Prunus,
dont les flavones sont en partie différentes de celles du merisier, ne semblent
pas être aptes à élaborer la dihydrowogonine. Il est vrai qu'il n'y a pas dans
ce cas de problème taxinomique à résoudre ; aussi faudrait-il maintenant
appliquer cette méthode d'investigation biochimique à l'élude d'espèces très
voisines dont la classification basée sur les seuls caractères morphologiques
est discutable. Peut-être la chimie pourra-t-elle de cette façon contribuer à
la solution de problèmes biologiques encore en suspens.
Un autre domaine qui se prête à
d'intéressantes recherches de Biologie comparée est celui des vitamines
Personnellement, j'ai tout particulièrement étudié sous cet angle la vitamine G
(acide ascorbique) à l'époque où je travaillais encore sous la direction de M.
R. FABRE.
Ayant trouvé que les feuilles de glaïeul
sont particulièrement riches en cette vitamine, j'ai pu montrer par la suite
que la concentration en acide ascorbique, très peu influencée par les facteurs
extérieurs (sol, climat, mode de culture), varie énormément d'une variété à
l'autre. Alors que certaines variétés en renferment moins d'un gramme par litre
de jus de feuilles, d'autres en contiennent jusqu'à 20 g par litre. Une variété
à fleurs rouges (Van Tien Hoven). d'origine hollandaise, s'est révélée
particulièrement intéressante (22 g pour mille), mais n'a malheureusement pas
pu être conservée ; tout se passe donc comme si une concentration aussi élevée
était incompatible avec une survie prolongée. La signification de ces faits, de
même que les relations entre la teneur des plantes en flavones et en acide
ascorbique, sont actuellement à l'étude.
Telle est dans son ensemble l'orientation
générale des recherches qui, en l'espace d'une vingtaine d'années, m'a amené de
la synthèse d'antivitamines K à l'étude de nouveaux constituants végétaux et à
des travaux de biochimie comparée. En dehors de ces préoccupations, je me suis
attaché à l'étude de divers problèmes qui ne rentrent pas strictement dans le
cadre général dont je viens d'esquisser les grandes lignes, mais qui seront
mentionnés dans l'exposé d'ensemble qui va suivre.
Je ne voudrais pas terminer cette
introduction sans remercier les élèves et collaborateurs, grâce auxquels ces
travaux ont pu être réalisés. Si leur aide a pu être aussi efficace, c'est en
partie à leur enthousiasme et à l'esprit d'équipe qui les a animés. De mon
côté, j'ai toujours essayé de développer leur initiative personnelle en vue de
les préparer à prendre plus tard leurs propres responsabilités. C'est ainsi que
l'un d'entre eux (J. CHOPIN) est dès maintenant Maître de Conférences à la
Faculté des Sciences de Lyon. D. MOLHO et H. PACHÉCO, Docteurs es Sciences,
sont inscrits sur la liste d'aptitude à l'Enseignement Supérieur. Tous trois me
rendent de très grands services, non seulement dans la poursuite des recherches
en cours, mais également dans la formation des jeunes travailleurs qui
commencent une thèse au laboratoire.
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