Lelièvre : Inhibition de la béta-lactamase

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Thèse de Pharmacologie moléculaire et cellulaire présentée à l'Université Pierre et Marie Curie, Paris 6

pour obtenir le grade de Docteur Ingénieur

par

 

Véronique Lelièvre

 

Inhibition de b-lactamases de bacilles gram-négatif par l'acide clavulanique, le CP 45.899 et quelques sulfones de pénicillines

 

soutenue le 2 juillet 1980

 

devant la commission d'examen :

Blangy, D., président

Cadiot, P., Torossian, R., Labia, R., et Le Goffic, F., examinateurs

 

GENERALITES

Certaines classes de maladies correspondent à des perturbations du métabolisme de substances biologiquement importantes (transmetteurs syraptiques, hormones, polypeptides, divers véhicules de l’information à travers l’organisme). Ces perturbations peuvent être la conséquence d’une «agression" extérieure à 1’organisme ou d'une déficience momentannée ou définitive de l'organisme lui-même.

 

Si la cause primaire de la maladie n’est pas curable (et c’est souvent le cas), une thérapeutique pourra consister à rétablir des taux "normaux" de ces substances biologiquement importantes en induisant, par une drogue convenable, des perturbations aux conséquences inverses de la perturbation initiale.

 

Dans cette optique, les enzymes semblent alors être une cible de choix, et il existe actuellement de nombreuses spécialités qui se sont avérées être des inhibiteurs enzymatiques.

 

Sans vouloir être exaustif nous allons examiner quelques exemples de médicaments de ce type qui ont particulièrement retenu notre attention.

 

Dans le domaine du cardio-vasculaire (hypertension) et du système nerveux central (dépression), les inhibiteurs enzymatiques ont été très étudiés : inhibiteurs de la monoamine oxydase, certains sont compétitifs, réversibles comme l’hydralazine, d’autres irréversibles comme la phénelzine et la pargyline.

 

Un autre exemple est le traitement des maladies inflammatoires, processus dans lequel les prostaglandines jouent un rôle de médiateur. On administre de 1'indométhacine qui inhibe la cyclo-oxygénase, (responsable de la biosynthèse des prostagiandines) de façon dépendante de la concentration, progressive avec le temps et irréversible.

 

A ce propos, il faut noter que souvent le problème est très compliqué. Bien souvent, on a administré les médicaments avant de connaître exactement leurs effets biochimiques ; la cible réelle du médicament n'est pas toujours facile à mettre en évidence.

 

En dehors de la colchicine, un autre médicament du traitement de la goutte, l'allopurinol, est aussi un inhibiteur. enzymatique. Il agit sur la xanthine oxydase et empêche, dans le processus de dégradation des purines, la formation d'acide urique (lequel précipite lorsque sa concentration est trop élevée et provoque l'inflammation) à partir de l'hypoxanthine. C'est un isomère de ce dernier.

 

De très nombreux médicaments anti-cancéreux sont également des inhibiteurs enzymatiques. Ils agissent au niveau de la biosynthèse des acides nucléiques. La répercussion étant l'arrêt de la synthèse d'ADN dans les cellules tumorales. Si le méthotrexate, en inhibant la dihydrofolate réductase (c'est un analogie du substrat), risque de bloquer beaucoup d'autres voies métaboliques (biosynthèse des purines), par contre le 5-Fluoro-uracile a un effet plus spécifique ; il n'est pas actif par lui-même mais son métabolite le 5-Fluoro-desoxyuridine phosphate est un inhibiteur compétitif de la désoxyuridine phosphate au niveau de la thymidylate synthétase.

 

Aujourd’hui même, certains laboratoires sont à la recherche d'inhibiteurs irréversibles d'enzymes à pyridoxal = décarboxylase ou transaminase telle que l'ornithine décarboxylase (pour le traitement des tumeurs cancéreuses), la dopamine décarboxylase (AADC) (pour le traitement de l'hypertension) et la GABA transaminase.

 

Ces dernières années, la littérature a rapporté la structure de plusieurs molécules décrites comme étant plus ou moins des inhibiteurs de b-lactamases. Ce point est souvent décrit de façon extrêmement succinte et on dispose le plus souvent de très peu de données expérimentales permettant de justifier cette propriété.

 

L'acide clavulanique est certainement le plus connu à en juger par le nombre de publications et de communications dont il est l’objet. Parmi ceux-ci, se trouvent 7 ou 8 articles relatifs à l’aspect enzymatique de l’inhibition induite par ce produit, qui viennent confirmer que l’acide clavulanique est bien un inhibiteur de b-lactamases.

 

Par contre, la littérature est bien plus discrète sur les autres inhibiteurs d’origine naturelle.

 

A la suite du CP45.899, deux autres inhibiteurs hémi-synthétiques de b-lactamases ont été décrits en 1979 : l’acide-6-b-bromo-pénicillanique et la 6-a-chloro sulfone de l’acide pénicillanique, produits qui sont à l’origine de nombreuses discussions.

 

Malheureusement comme c’est souvent le cas, pour ces deux dernières substances, on ne dispose, pour ainsi dire, pas de données cinétiques.

 

Depuis, a été décrite la structure d'un ester de l'acide clavulanique (hydroxy 3 propyl) qui serait un inhibiteur de céphalosporinases.

 

L'évaluation réelle ou comparative de ces diverses substances est totalement impossible car souvent ces substances ne sont pas disponibles.

 

Nous avons cependant pu disposer de l'acide clavulanique et de la sulfone de l'acide pénicillanique que nous avons étudiés de façon aussi approfondie que possible vis-à-vis de plusieurs b-lactamases. Un point important restait à approfondir : pourquoi ces substances sont-elles inhibitrices de b-lactamases ?

 

    . Cette propriété est-elle liée à l'absence de substituant en C6 ? (ce qui semblerait en contradiction avec la structure de l'acide bromopénicillanique et de la chlorosulfone correspondante).

 

      . Cette propriété est-elle liée au remplacement du soufre du noyau par un élément chimiquement plus réactif : sulfone ou éther d'énol ?

 

Ceci explique les raisons pour lesquelles nous avons étudié différentes sulfones de pénicilline en comparaison avec leur molécule-mère et le CP 45.899 avec l'acide pénicillanique.

 

Ainsi, nous avons constaté que les b-lactamases présentent toujours des affinités beaucoup moins bonnes pour les sulfones de pénicillines G, oxacilline et méthicilline que pour les homologues non oxydés. Par contre, la fonction sulfone semble favoriser l'hydrolyse.

 

C'est un phénomène totalement différent qui s'observe pour le CP 45.899 qui est reconnu de façon très exceptionnelle par ces enzymes mais qui est plus difficilement hydrolysé.

 

La seule fonction sulfone ne peut donc expliquer la particularité de la sulfone de l'acide pénicillanique.

 

Il semble que les deux facteurs : absence de substituants en C6 et oxydation en sulfone soient corresponsables de la capacité d'inhibition.

 

Les sulfones de pénicilline G, oxacilline et méthicilline ne permettent pas de synergie lors de l'association avec l'ampicilline pour les pénicillinases plasmidiques ni avec la céphalotine pour les céphalosporinases chromosomiques (ceci semble être lié à des problèmes spécifiques de pénétrations de ces molécules dans les bactéries).

 

Nous comprenons donc qu'à l'heure actuelle, l’intérêt se soit focalisé sur la sulfone de l'acide pénicillanique.

 

Nous venons de mettre en évidence les caractéristiques de l’inactivation des b-lactamases par la sulfone de l'acide pénicillanique (CP 45 899) qui sont les mêmes que celles observées avec l'acide clavulanique : inhibition compétitive et dépendante du temps.

 

II est certain que nous n'avons pas eu les moyens de démontrer réellement l'irréversibilité de phénomène d'inactivation ; cependant, nous estimons suffisante la stabilité du complexe formé (aucune réversibilité n'est observée pendant 30 mn), étant donnée la vitesse de croissance des bactéries : duplication intervenant pour des temps de l'ordre de 20 mn (dans des conditions de milieu favorable).

 

C'est cette rapidité de reproduction des bactéries qui devrait guider impérativement le choix de l'inhibiteur k cat à utiliser : l'inhibiteur ne pouvant être intéressant que si le temps de demi-inactivation est court, c'est-à-dire de l'ordre de la minute.

 

Dans le cas de pénicillinases plasmidiques et de la céphalosporinase de P. vulgaris, le clavulanate, alliant bonne affinité des enzymes, temps de demi-inactivation inférieur à 30 s et "turnover number" relativement bas, a effectivement de bonnes propriétés synergistiques lors de l'association avec l'ampicilline.

 

Pour le CP 45 899, le tableau se présentait moins favorablement : bonne affinité des enzymes mais temps de demi-réaction de l'ordre de 10 mn et grands "turnover numbers" et pourtant ce composé manifeste des synergies avec l'ampicilline.

 

Il semble donc qu'alors le CP 45 899 agisse plutôt en tant qu'inhibiteur compétitif qu'en tant qu'inhibiteur k. cat.

 

Il semble donc qu'il ne faille pas se limiter obligatoirement à la propriété d'inhibition progressive dans le temps. Les propriétés globales d'une molécule ne sont, en général, que le reflet de ces différents paramètres dont on ne peut prédire quel est le plus fondamental.

 

Ainsi dans le cas du P. morganii, on observe une synergie intéressante avec le CP 45 899 (temps de demi-réaction de 10 secondes) tandis que l'acide clavulanique est totalement inefficace (t 1/2=3 min). Vis-à-vis de cette enzyme, l'acide clavulanique présente une affinité très mauvaise ce qui expliquerait, peut-être, les faits expérimentaux.

 

Par contre, les céphalosporinases de E. coli et P. rettgeri apparaissent comme résistantes aux produits testés.

 

Bien évidemment, les intérêts de telle ou telle molécule seront à moduler selon leurs propriétés pharmacocinétiques, pharmaco-dynamiques et leurs toxicités.

 

L'arrivée récente d'une "nouvelle" génération de eéphalosporines (ou de molécules assimilées) (céfotaxime, céfsulodine, céfmetazole, FR 749, céfoperazone, Ly 127.935, céfotiam, GR 20 263...), qui sont des antibiotiques considérablement plus actifs que les céphalosporines classiques, pourrait reposer la question de l'intérêt des inhibiteurs de b-lactamases.

 

En effet, ces substances répondent, en principe, parfaitement aux critères de résistance aux b-lactamases tels que les a définis Richmond qui ne tient compte que du Vm, mais l'intérêt de cette approche est très critiquable

 

Cependant, nous savons que le terme "résistance aux b-lactamases implique essentiellement que la molécule présente un rapport T = Km/Vm (proportionnel à la demi-vie de l’antibiotique aux faibles concentrations) assez grand. Vis-à-vis de ce critère, les nouvelles céphalosporines sont souvent moins stables que le seul examen du Vm pourrait le laisser penser.

 

Diverses considérations qu'il serait trop long d’exposer ici, permettent de montrer que de telles hydrolyses présentent une signification physiologique.

 

En d'autres termes, dans de nombreuses souches résistantes à certaines nouvelles céphalosporines, cette résistance trouve sa justification au niveau d'une forte production de b-lactamases (céphalosporinases).

 

Le concept d'inhibiteur de b-lactamase garde donc toujours sa valeur et dans le cas de ces nouvelles céphalosporines, nous manquons très certainement d'inhibiteur de céphalosporinases.

 

Un "design" rationnel de telles molécules est-il possible ? Peut-être, mais nos études concernant nos dérivés de sulfone semblent aller en sens inverse.

 

Dans cet ordre d'idée, nous avons constaté qu'une oxa-céphalosporine (LY 127.935), qui est douée de propriété antibactérienne fort intéressante, présente également un effet inhibiteur, progressif dans le temps, des céphalosporinases.

 

Ce dernier aspect justifierait, peut-être, les propriétés particulières de cette molécule.

 

Nous pensons qu'à l'avenir, les inhibiteurs de b-lactamases trouveront une place importante au niveau thérapeutique en dépit du fait que ce concept d'inhibition soit relativement ancien et n'ait été que tardivement développé.




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