De Lesseps : Statue de Denis Papin à Blois
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INAUGURATION

DE LA

STATUE DE DENIS PAPIN

A BLOIS

Le dimanche 29 août 1880

 

DISCOURS DE M. DE LESSEPS

MEMBRE DE L'ACADÉMIE

 

J'ai été chargé par l'Académie des Sciences, dans sa séance de lundi dernier, de la représenter à l’inauguration de la statue de Papin, hommage tardif rendu à l’homme de génie dont les découvertes ont renouvelé la face du monde.

 

Dans les pays libres, la postérité est reconnaissante ; aussi voyez en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique, en Hollande, en Italie, combien de monuments sont élevés en souvenir de ceux qui ont contribué à la gloire de leur pays et de leur siècle !

 

Lorsque l'Académie des sciences a bien voulu me désigner pour la mission qui m'amène auprès de vous, je lui ai répondu que j'acceptais cet honneur avec d'autant plus d'empressement et de gratitude que j'étais peut-être un des voyageurs qui avaient fait le plus grand usage de la vapeur. En effet, dans les quatre premières années de la mise en mouvement de l'œuvre du canal de Suez, je faisais annuellement 10,000.lieues en chemin de fer ou en bateaux à vapeur.

 

Pendant la construction du premier Bosphore artificiel, l'entreprise des travaux a employé journellement 10,000 chevaux vapeur ; nous comptons en employer 15,000 pour l'exécution du Bosphore américain.

 

Qu'il me soit donc permis d'acclamer dans sa ville natale le grand génie qui le premier a mis en pratique une invention destinée à réunir tous les peuples dans une confédération pacifique et civilisatrice.

 

L'invention de Papin, perfectionnée par ses successeurs, appartient aujourd'hui à tout le monde.

 

C'est une chose vaine que la lutte dans laquelle les nations cherchent souvent à faire valoir leurs droits à quelque grande découverte, sous prétexte que l’un de ceux qui y ont contribué leur appartient par la naissance. Il est évident qu'une grande pensée n'éclate pas spontanément et sans être produite par des précédents. Le terrain est déjà défriché, puis le temps en développe et mûrit le fruit jusqu'à ce qu'un penseur persévérant soit appelé à le recueillir.

 

Colomb n'imagina pas d'emblée l'existence d'un continent nouveau; des indices, des études, des circonstances fortuites l'amenèrent à une découverte qu'il a eu seul le courage et la gloire de réaliser.

 

Il en est de même de toutes les grandes conceptions. La boussole, l'imprimerie, l’électricité et d'autres inventions de premier ordre existaient en germe et s'agitaient à l'époque où elles firent explosion. Fermat et Pascal imaginèrent simultanément les principes du calcul infinitésimal ; un demi-siècle après, Newton et Leibniz, amis et protecteurs de Denis Papin, en firent au même moment l'application.

 

Lavoisier , Priestley, Scheele et Bayen découvrirent l'oxygène la même année.

 

Quant à la question de patrie, comment la résoudre avec impartialité ? S'agit-il du lieu où l'inventeur prit naissance, ou de celui où l'invention apparaît pour la première fois ? Huyghens et Cassini, l'un Hollandais, l'autre Italien, firent en France la plupart de leurs découvertes ; Descartes et Papin, tous deux Français, passèrent les deux tiers de leur vie hors du sol natal ; Poussin, notre compatriote, habita presque toujours l'Italie et le compositeur Haendel vécut plus de cinquante ans en Angleterre.

 

Est-ce à leur patrie originaire ou à leur patrie adoptive qu'appartiennent les œuvres de leur génie ? Si Fulton a produit en France son projet de bateau à vapeur, avons-nous le droit de revendiquer son admirable invention ?

 

L'histoire de la science ne saurait s'arrêter à ces discussions; elle rend justice à tout homme qui présente des titres légitimes au développement de l'intelligence, au progrès de la civilisation, et ne voit dans tous ceux qui ont fait prévaloir une idée féconde que les membres d'une même famille, celle des bienfaiteurs de l'humanité.

 

Les grandes inventions destinées à changer la face de l'humanité n'entrent le plus souvent dans le domaine des faits accomplis qu'après avoir passé dans une filière en quelque sorte providentielle, de tentatives isolées, mais résumées et appliquées par les études approfondies d'un homme perspicace et désintéressé, n'ayant d'autre guide que la science, et d'autre but que d'être utile à l'humanité, sans tenir compte du milieu d'erreurs et de préjugés dans lequel ses découvertes sont conçues ou mises en œuvre. Denis Papin fut un de ces hommes exceptionnels.

 

Voici, en résumé, le bilan de ses travaux et de ses découvertes, dont s'est emparée l'industrie contemporaine :

1674 à 1709. — Perfectionnements et modifications de la machine pneumatique.

1681-1687-1711. — Appareil employé de nos jours sous les noms de marmite de Papin, autoclave, etc.

1685. — Découverte du principe des siphons à pression de l'air, par la faculté qu'ils ont de s'épancher à la partie supérieure.

1687. — Découverte et première application du principe qui dirigera peut-être la locomotion de l'avenir : le chemin atmosphérique.

1695-1709. — Appareil fumivore ou de combustibilité de la fumée. Cette idée de Papin, reprise et perfectionnée depuis quarante ans, donne la vie à une foule d'usines.

1709. — Méthode d'administration d'air amélioré, soit en chambre, soit en serre à air comprimé, méthode qu'utilise avec avantage la thérapeutique moderne.

1681.— Gouvernement de la vapeur, soupape de sûreté.

1687-1695. — Robinet à deux voies doubles, dont Watt et Leupold ont fait un des principaux organes des machines à vapeur à haute pression.

1690-1695. — Application des appareils mécaniques de la vapeur. Mouvement de rotation. Condensation par le refroidissement. Piston et double effet à deux corps de pompe.

1690-1698. — Premières expériences d'une machine à vapeur à haute pression. Essai de combinaison de là machine atmosphérique et de la machine à jet direct de Salomon de Caus.

1698. — Wagon ou chariot mené par la vapeur sur un modèle réduit.

1704. — Construction d'un bateau à vapeur; les roues doivent, après un essai fait à force de bras, recevoir l'impulsion de la vapeur.

1707. Lancement à l'eau de cette embarcation ; réussite ; sa destruction violente par une autorité ignorante et brutale et une population stupide.

1707. Exécution définitive d'une machine à vapeur à< haute pression, sans condensation, avec double soupape de sûreté et soulèvement d'un courant d'eau assez puissant pour faire tourner un moulin.

 

Résumons maintenant, pour les comparer à l'oeuvre capitale de Papin, les diverses tentatives faites par ses prédécesseurs, afin d'employer la vapeur au service de la locomotion.

 

1543. Blazco de Garay, Espagnol, fait dans le port de Barcelone, en présence de Charles-Quint, l'expérience d'un bateau sans voiles ni rames, par un procède qui n'a pas été communiqué par son auteur et qui est resté inconnu.

 

1562. Mathesius, Allemand. Simple assertion touchant l'emploi des machines à feu dans les mines de la Bohême.

 

1569. Besson, Français. Expériences concernant le volume relatif d'une quantité d'eau et de vapeur, idée reprise en 1601 par Porta, Italien; en 1613, avec plus de succès, par Moreland, Anglais.

 

1605. Rivault, Français. Théorie neuve de la puissance élastique de la vapeur.

 

1614. Salomon de Caus, Français. Appareil pour élever l'eau, basé sur la théorie de Rivault.

 

1629. Branca, Italien. Mécanisme mû par un jet externe de vapeur, autre par un courant d'air chaud.

 

1683. Moreland, Anglais. Rapport approximatif des volumes de l’eau et de la vapeur. Indication d'un moyen de gouverner les forces de la vapeur. Nul appareil. Nulle mise en œuvre.

 

Telle est l'histoire abrégée des effets mécaniques de la vapeur jusqu'aux temps voisins des expériences de Papin.

 

Répétons cette conclusion de M. de la Saussaye, savant auteur de la Vie de Papin, membre de l'Institut et de la Société académique de Blois :

 

« En ce qui regarde le seul gouvernement de l’eau vaporisée, qu'ont fait les successeurs de Papin, les Savery, les Newcomen, les Watt, les Leupold et tant d'autres ? sinon d'agencer, de combiner, de modifier plus heureusement ce qu'il avait trouvé : la soupape de sûreté, le piston, le condenseur, l’épistome à quatre ouvertures, le double effet, la haute pression !

 

Qui donc est l'inventeur, le vrai, le réel inventeur ? La postérité a répondu : un Français, un Blésois, DENIS PAPIN.

 

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