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Avoir goûté aux sciences, en avoir savouré la volupté à la
fois âpre et douée; vivre à la campagne entouré d'une végétation tous les ans
renouvelée; sans maître et presque sans livres, sentir profondément que chaque
plante est un problème aux cent inconnues; vouloir, malgré toutes conditions
précaires, résoudre au moins en partie ces milliers de problèmes ; découvrir
cent fois l'Amérique; ne pas s'en décourager, mais continuer sans répit et sans
dépit; ne pas garder pour soi jalousement l'observation des faits, mais
publier, croyant impérieusement que de toute description des faits il résulte
toujours quelque bénéfice pour la science; avoir horreur de l'incertitude et
mettre dans ses recherches une conscience que ne satisfait que l'évidence,
telle fut ma situation, telles furent mes directives, tel fut l'apprentissage
que je fis de la botanique, avec des lacunes sans doute, dur certes, mais
incontestablement profitable par l'effort toujours tendu, par le savoir
péniblement acquis et d'autant plus durable.
Durant cette période de 14 ans qui s'étend de 1886 à 1900,
j'ai publié vingt-cinq notes dans divers recueils.
Dispersion des semences. — La connaissance des plantes
n'est pas une fin en soi; mais si elle forme une partie de la science appelée
botanique descriptive, si elle devient une spécialité pour nombre de
chercheurs, c'est que, même limitée aux phanérogames, elle est d'une vaste
étendue avec ses 10.000 genres et ses 130.000 espèces. Dès le début, je ne
pensais qu'à acquérir la connaissance précise de quelques milliers d'espèces
pour l'appliquer au fur et à mesure. C'est ainsi que se groupent des
observations nombreuses sur la végétation qui s'installe sur les chaumières,
sur les murs, sur les saules têtards. Quels agents poussent les graines à se
fixer si haut ? Sont-ce les vents, les animaux et quelle peut être la part de
chacun d'eux ? Comment et pendant combien de temps vivent ces réfugiés dans des
stations si extraordinaires ?
Sur une route sont plantés des frênes, des ormes, des
peupliers blancs, des peupliers noirs. Pourquoi ces derniers seuls sont-ils
infestes de Gui ? Pourquoi le nombre des tondes du parasite croît-il en raison du
voisinage de la foret ? et de toute évidence, je démontre que les oiseaux
des bois sèment le Gui.
Hybrides. — Quand on herborise aussi ardemment, on
rencontre parfois entre deux espèces voisines, mais tranchées, des formes
intermédiaires, les hybrides, qui sont en quelque sorte les mulets parmi les
végétaux. Les hybrides ne sont certains que lorsqu'on les produit
artificiellement. C'est ainsi que j'ai été amené à décrire des hybrides naturels
très probables et à obtenir par expérience (les hybrides certains et même des
frères inverses, eu intervertissant le rôle des parents.
Pollen.— Les hybrides s'obtiennent par l'action d'un pollen
étranger. Mais qu'est le pollen ? Ses caractères ne peuvent-ils
différencier les familles, les genres, les espèces ? Je fus amené à étudier plus de
500 pollens appartenant à autant d'espèces. Plusieurs articles exposèrent les
résultats obtenus : étude des pollens appartenant à 10 familles, puis pollen
des Géraniacées, des Chénopodiacées, pollen des hybrides et plus tard pollen des
plantes cultivées.
En observant le pollen des Géraniacées, la mésine a été
découverte, membrane qui est intermédiaire entre l'exine et l'intine, qui
n'offre ni l'ornementation de la première, ni la flaccidité de la seconde et
qui se révèle à l'extérieur par ces opercules des pores que j'avais
appelés les corps calleux.
Tératologie. — Connaître l'organographie qui est
l'architecture de la plante, la savoir invariable pour les groupes considérés et
cependant rencontrer des exceptions, des anomalies ou monstruosités,
quelles surprises ! Ainsi m'attira la tératologie végétale dont je décrivis de
nombreux cas. Pour l'esprit curieux, connaître ne suffit, il faut pénétrer
les causes et je fus assez heureux pour découvrir, à n'en pas douter, la cause
de telle prolifération ou de telle duplicature florales.
Flore française — Cependant j'avais appris à connaître
en entier. pendant 14 ans de recherches dans toute l’étendue du département,
les espèces
de la flore nivernaise, publié de nombreuses notes où j'ajoutais à l'ouvrage de
Boreau beaucoup de localités ou d'espèces nouvelles pour le département.
La plus importante de ces publications est la Topographie
botanique des environs de Cercy-la-Tour (178 pages et une carte), qui est
proprement la flore du quart de la Nièvre, prélude de la flore du
département tout entier.
A tous ces points de vue, l'apprentissage du botaniste
était complet et quelques savants très distingués ou bien connus provoquèrent ma
nomination au Muséum.
Au Muséum, en 1900, l'amateur, nommé préparateur, devient
fonctionnaire et il entend l'être dans la belle acception du terme. Il s'agit
de comprendre
la situation, de montrer de l'initiative. Vouloir connaître en entier la plus
riche collection du monde est illusoire. Il s'agit de travailler sans répit un
groupe après l'autre, afin de réduire un arriéré considérable ; ici, travailler
à la collection, c'est s'instruire. Il s'agit de publier pour ajouter quelque
rayonnement au glorieux passe du Muséum. Heureusement, devoir et
vocation vont de pair et toute fatigue est retardée ou adoucie par le plaisir
d'apprendre.
Aussi que ce soit sous les ordres du Professeur Bureau,
fatigue par l'âge, ou sous la direction du grand travailleur H. Lecomte, mon
activité fut la même.
Zingiberacées. — Une famille de plantes, celle des
Zingiberacées, est négligée des botanistes et presque innommée spécifiquement. Deux
difficultés la caractérisent : l'extrême délicatesse des tissus floraux, la
similitude de l'appareil végétatif. C'est par la fleur que se distinguent
genres et espèces et cette fleur, il faut lui consacrer souvent deux ou
trois heures pour l'étaler avant de la comprendre et de la dessiner.
Sept ans après, en 1907, sur un rapport très élogieux de M.
Léon Guignard,
l'Académie des Sciences m'attribuait le prix de Coincy, pour les 19 notes
publiées, pour les 120 espèces nouvelles découvertes dans la famille des
Zingibéracées.
Flore d'Extrême-Orient. — Dès 1903, Finet, dont le
désir d'être utile n'avait d'égal que le haut esprit scientifique, me demande de
collaborer avec lui pour l'étude de la Flore d'Extrême-Orient. De 1903 à
1906, nous avons publié, au Bulletin de la Société botanique de France,
11 notes qui furent réunies en deux tomes sous le titre «Contributions a la
Flore de l'Asie orientale», contenant au total 426 pages et 29 belles
planches. Dans cet ouvrage sont traitées les familles suivantes : Renonculacées,
Calycanlhacées, Dilléniacées, Magnoliacées et Anonacées, comprenant plus de 820 espèces
classées ou décrites et dont beaucoup sont nouvelles.
L'étude de ces 5 familles constitue autant de monographies
asiatiques.
Depuis 20 ans ces «Contributions» n'ont rien perdu de leur
intérêt et jouissent encore de la faveur des botanistes.
Flore d'Indo-Chine. — L'auteur de la monumentale Flore
forestière de Cochinchine, Louis Pierre, devait, avec les subsides de la
colonie, publier une Flore générale de l'Indo-Chine. Mais aucun commencement
d'exécution n'avait été abordé en 1905.
Sous la direction de M. le Professeur Lecomte, je suis
chargé :
De l'attribution des groupes de plantes aux collaborateurs
;
De la préparation des spécimens à leur distribuer ;
De la mise au point des manuscrits pour une rédaction
uniforme ;
De la préparation des manuscrits pour l'impression, et de
la correction des trois épreuves successives ;
De l'illustration dans le texte et des planches.
Le titre et les fonctions de Rédacteur de la Flore ne
pouvaient me suffire ; comme botaniste, j'ai résolu d'être la cheville
ouvrière de cette œuvre de très longue haleine.
Depuis 1907, mes publications, presque exclusivement, se
classent ainsi :
1° Matériaux pour l'étude de la Flore de l'Indo-Chine ;
2° Fascicules de la Flore signés de mon nom.
La première partie se justifie parfaitement, car la Flore
ne comporte que la langue française et, pour que les nouveautés soient
valables, il faut les décrire en latin avec commentaires ; car certains groupes,
familles ou genres, méritent d'être discutés, remaniés et ce seraient des
hors-d'œuvre incapables d'être compris dans le cadre rigide de la Flore.
La plupart de mes notes sont consacrées à ces matériaux
relatifs à la Flore.
Quant à la seconde partie, collaboration à la Flore,
beaucoup de ses fascicules sont entièrement de ma main et il n'est pas exagéré
d'affirmer que j'ai contribué à cet ouvrage presque autant que tous les
autres collaborateurs ensemble.
La grande Flore coloniale comporte le plan général suivant
: description et synonymie des familles, genres et espèces ; clefs des
genres dans la famille et des espèces dans le genre ; distribution
géographique des familles, genres et espèces; - noms indigènes et usages de ces
dernières ; - illustration dans le texte et hors texte.
Elle sera complète en 7 volumes de chacun 1.000 pages au
moins.
Parmi les collaborateurs de la Flore dirigée par M. le
Professeur Lecomte, citons: le grand botaniste anglais Hooker, fils célèbre
d'un père illustre ; Casimir de Candolle, le troisième d'une grande famille
de botanistes ; deux membres de l'Institut, MM. Lecomte et Julien Costantin,
puis les
professeurs Guérin, Pitard, Beille, Dop, etc.
Notre Flore n'est pas seulement la première flore coloniale
française, elle a permis la rédaction d'un ouvrage pratique de première
valeur : les Bois de l'Indo-Chine, par M. le Professeur H. Lecomte; elle
permettra d'en rédiger d'autres ; elle préside à l'exploitation méthodique des
richesses végétales de l'Indo-Chine.
Il ne m'appartient pas d'apprécier le mérite de la
direction de la Flore générale de l'Indo-Chine, ni de souligner l'importance et
la portée considérable de l'œuvre.
Cependant, à titre de comparaison, une citation sera
permise, qui a trait à un ouvrage de tous points similaire, le Flora of British
India, par Joseph Dalton Hooker. Ces quelques lignes sont signées de son
successeur éminent à la Direction des grands Jardins de Kew :
«La rédaction de la Flore est probablement un des plus grands
services qu'il ait rendus au bien public, de même qu'elle a été un des objets les plus chers
de sa vie... Bien que, dans la préparation de la Flore, sir J. Hooker ait
reçu une aide étendue des savants du Jardin de Kew, l'ensemble de l'œuvre a
passé sous ses yeux et le plus gros du travail, comprenant toutes les parties
les plus difficiles, a été exécuté de sa propre main... Sir J. Hooker, sans doute
trouve en lui-même sa propre satisfaction, ayant réalisé un des plus chers
désirs de sa vie..., mais il m'apparaît que, dans l'intérêt public, de tels
dévouements ne passent pas inaperçus... » Kew Bulletin, 1905, pp. 34 et suiv.
(Lettre au duc d'Argyll, secrétaire d'Etat pour les Indes.)
Sir J. Hooker était déjà un des savants les plus
considérables de l'Angleterre, chargé à la fois d'ans et de titres glorieux,
membre depuis longtemps de la Société royale de Londres.
Quant a ma collaboration personnelle à la Flore générale de
l'Indo-Chine, si elle comporte toute l'importance dont on a pu se faire une
idée, je
le dois à M. le Professeur Lecomte qui m'a chargé de ta rédaction de la Flore, qui ne
m'a jamais distrait un seul instant d'une collaboration botanique vers
laquelle me portaient mes goûts et mon activité naturelle, qui, bien au
contraire, m'a toujours vivement encouragé dans cet objet et qui, enfin, dans
la direction même de l'ouvrage, m'a déchargé d'une partie extrêmement
importante, à mon avis, très délicate mais aride, je veux dire la gestion même
de l'entreprise.
Dès 1920, pour la seconde fois, sur un rapport de M. Léon
Guignard, l'Académie des Sciences m'honorait d'un prix de l'Institut
(Houllevigue, 3.000 francs).
«Ces études de botanique systématique, poursuivies sans
relâche depuis une vingtaine d'années, avec une activité et un soin des plus louables,
méritaient d'être récompensés par, l'Académie.» (Rapport de M. Guignard, C. R. Acad. sc., 1920,
séance du 20 déc., p. 1313.)
Etymologies. - L'Académie des Sciences m'ayant
accordé sur le fonds Bonaparte une subvention pour études étymologiques, je
tiens à en donner justification. De A à K, mon Dictionnaire étymologique des noms
de genre des plantes est sensiblement à point ; de L à Z beaucoup de
fiches sont établies, ce qui porte à environ 8.000 étymologies, toutes
puisées aux origines des genres, et donne une idée de l'importance du labeur
accompli dans les bibliothèques de Paris et de Kew, près de Londres.
Et si ce dictionnaire n'est pas en voie de publication
c'est que les éditeurs reculent devant les prix demandés par les imprimeurs.
Méthodologie — Avoir étudié une science pendant 40
ans sans répit, ne va pas sans quelque expérience personnelle, sans avoir
acquis une méthode ou tout au moins un ensemble de procédés pratiques et qu'il est
bon de vulgariser afin d'éviter aux jeunes les incertitudes, les
tâtonnements, les pertes de temps.
Ainsi ai-je fait et des notes ont été rédigées dans un réel
esprit pratique et avec le vif désir d'être utile. Elles traitent des procédés
de la< botanique
exotique, forts différents de ceux de la botanique française; de la
classification naturelle et des clefs dichotomiques si laborieuses à établir ; de l'emploi du
dessin dans la botanique en particulier, et dont j'ai tiré moi-même un si
bon parti, puisque toutes les espèces étudiées sont accompagnées d'un dessin
précis d'analyse florale.
Herborisations. — La végétation des environs de Paris
diffère à peine de celle de la Nièvre, qui m'est si parfaitement connue. Des
herborisations en Bretagne, en Alsace, au Plateau central, à Nice, me rendent en
outre capable
de parler de la flore française tout en étant habile à diriger des excursions
botaniques aux environs de Paris.
Cours — Mon expérience de l'enseignement, des causeries
multiples aupublic dans les galeries du Muséum, les cours faits aux
forestiers coloniaux, l'habitude de parler en des milieux divers devant un
nombreux auditoire, me permettraient, à l'occasion, de donner des cours de
botanique.
Administration — Avoir vécu 30 ans au Muséum, lui
avoir donné pendant 30 ans le meilleur de soi-même ne va pas sans un grand
amour pour la maison, sans réfléchir aux améliorations capables de lui
préparer un avenir prospère, sans rendre quelque peu habile à collaborer à
son administration.
Mots clefs : activité / botanique / botaniste / description / dictionnaire /
espèce / étymologie / extrême-Orient / flore / géraniacées / guignard / herborisation / hooker /
hybride / indo-chine / lecomte / muséum / nièvre / peuplier / plante / pollen / préparation /
publication /
végétal /
végétation / zingibéracée
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