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Notice sur les travaux
scientifiques
De
Avant d'aborder l'examen détaillé
de mes travaux, qui se rattachent presque tous à la théorie des fonctions de
variables réelles, je veux, dans cette introduction, rappeler le
prodigieux essor pris par cette théorie durant ces trente dernières années, malgré les
préventions qui s'élevaient contre elle ; car je crois bien que mon principal
titre est d'avoir été l'un de ceux qui, en diminuant singulièrement ces
préventions, ont contribué à cet essor et peut-être celui qui a le mieux montré
quelles ressources puissantes pour le progrès des parties même les plus
classiques des mathématiques pouvaient être obtenues par l'examen patient et
prolongé des propriétés des fonctions de variables réelles.
Pour bien montrer l'état des
esprits au moment où j'ai commencé mes recherches, j'indiquerai certaines
résistances que j'ai rencontrées ; tous ceux qui se sont consacrés au
même genre d'études ont rencontré des résistances analogues.
Je puis le faire sans
scrupule, car il ne s'est jamais agi que de conflits d'idées, et j'ai toujours
trouvé la plus grande bienveillance personnelle chez ceux-là même à qui mes travaux étaient
le moins sympathiques.
En 1899, j'avais remis a M.
Picard une Note sur les surfaces non réglées applicables sur le plan ; Hermite voulut
un instant s'opposer à son insertion dans les Comptes Rendus de l'Académie ; M.
Picard dut défendre ma Note. On sait combien, cependant, Hermite était
bienveillant et prodigue d'éloges, mais c'était à peu près l'époque où
il écrivait à Stieltjès : «Je me détourne avec effroi et horreur de cette plaie
lamentable des fonctions qui n'ont pas de dérivées», et il aurait voulu voir exclues du
domaine des mathématiques toutes les recherches où ces horrifiques fonctions
intervenaient.
Or, dans ma Note, je considérais
des fonctions qui n'avaient pas, nécessairement une dérivée. Pour beaucoup de
mathématiciens, je devins l'homme des fonctions sans dérivée, encore que, à aucun
moment, je ne me sois attaché à l'étude et à la considération de ces fonctions.
Et, comme l'horreur que manifestait Hermite était ressentie par presque tous, dès
que j'essayais de prendre part à une conversation mathématique il se trouvait un
Analyste pour me dire : «Cela ne peut vous intéresser, il s'agit de fonctions
ayant une dérivée», et un Géomètre pour répéter en son langage : «Nous nous
occupons de surfaces ayant un plan tangent».
Darbonx avait consacré son
Mémoire de 1875 à l'intégration et aux fonctions sans dérivée ; il ne
ressentait donc pas la même horreur qu'Hermite. Pourtant, je doute qu'il
m'ait jamais pardonné entièrement ma Note sur les surfaces applicables ; pendant
longtemps, il ne s'intéressa guère à mes Mémoires sur l'intégration qui, en un certain sens,
prolongeaient cependant le sien.
On raconte qu'en 1875, Darboux fut quelque peu
blâmé de s'être laissé aller à étudier de pareilles questions; soit à cause de ces
remontrances, soit plutôt à cause de la beauté et de l'importance des problèmes qu'il
a ensuite abordés, Darboux ne fit pas d'autre incursion dans le domaine des
fonctions non analytiques.
Les résultats si nombreux et si
élégants qu'il a obtenus ailleurs l'ont sans doute conduit, d'abord, à se
féliciter d'avoir abandonné l'élude des fonctions générales de variables
réelles, ensuite à considérer que ceux qui s'appesantissaient dans cette
étude perdaient leur temps au lien de le consacrer à des recherches utiles.
Bien que, d'un certain point de
vue théorique, toute recherche consciencieuse soit utile, l'histoire des
Sciences nous montre que de nombreuses études ne le furent pas
pratiquement, parce qu'elles ne vinrent pas à leur heure. On s'accordait
généralement à trouver prématurée l'étude des fonctions de variables réelles.
M. Borel, qui a toujours beaucoup
espéré de la théorie des ensembles, a été, je crois, le premier à penser que
mes travaux auraient une utilité en quelque sorte pratique. Il l'a, en tout cas,
pensé bien avant moi; je me vois encore hésitant avant de me décider à
présenter, comme thèse de Doctorat, le Mémoire où j'ai abordé presque toutes
les recherches que j'ai développées par la suite.
Je sentis bien, dès le début, que de
telles études étaient utiles; je n'aurais su dire dans quelle mesure elles
l'étaient. Un peu plus tard, en 1903, j'insistais sur la nécessité de ces
études dans la préface de mes Leçons sur l'Intégration.
Dans une analyse de ce livre, M. Picard, tout
en m'encourageant comme il l'a toujours fait depuis le premier jour, laissait
percer quelque inquiétude au sujet des exagérations possibles de la tendance que je
représentais.
Plus tard encore, en 1909, pour
ceux qui continuaient à contester l'utilité de mes travaux, M.
Painlevé, à l'occasion d'une importante communication de M. Denjoy, écrivait dans
les Comptes Rendus : «Il convient de signaler le rôle joué dans ce résultat, par
l'extension, due à M. Lebesgue, de l'intégrale définie. Grâce à cette opération, que
nombre de géomètres trouvaient artificielle et trop abstraite, une question naturelle,
une question fondamentale, qui restait indécise à l'entrée de la théorie des
fonctions uniformes, est aujourd'hui tranchée.»
Ces préventions contre les études
sur les fonctions de variables réelles, si répandues que je les ai retrouvées
presque chez tous — chez ceux qui avaient fait de telles études, chez ceux qui
m'avaient constamment encouragé, ainsi que chez moi-même — étaient-elles
entièrement dépourvues de fondement ? Jusqu'à ces derniers temps, la
plupart des travaux sur les fonctions réelles, ceux concernant les séries trigonométriques
exceptés, se réduisaient à des remarques, parfois très élégantes, mais sans lien,
ne formant nul corps de doctrines et n'ayant servi pratiquement à rien.
D'une part, beaucoup d'énoncés
étaient négatifs : grâce à des exemples, souvent très ingénieux, on prouvait que
telle définition, que telle propriété, qui semblait générale, ne
l'est pas en réalité, et cela conduisait à des fonctions effarantes. On pouvait donc
prétendre, non sans apparence de raison, que ces recherches avaient quelque chose de
déprimant, qu'elles étaient une école de doute et non d'action; qu'au lieu de
dire aux jeunes, prêts à s'élancer avec fougue : «Le terrain vous paraît sûr, mais
attention ! en réalité les obstacles et les précipices y abondent», il eût été préférable de
pouvoir leur dire : «Là où vous ne voyez qu'obstacles et précipices, je vais vous
montrer le terrain sûr.»
On cherchait, bien, d'autre part,
des énoncés positifs. Malheureusement, une propriété ou une définition ayant été
reconnue spéciale, cherchait-on à la généraliser, qu'on aboutissait trop
souvent à une notion certes nouvelle, mais ne servant à rien d'autre
qu'à être définie : tel avait été le cas pour la notion, cependant si
naturelle, d'intégrale par excès ou par défaut, due à Darboux.
Cherchait-on les fonctions les plus
générales possédant une certaine propriété ou auxquelles s'appliquait une certaine
définition, qu'on aboutissait à une classe de fonctions, variable avec la
propriété ou la définition envisagée, et qui, par suite, ne pouvait
s'introduire naturellement dans aucune recherche; tel avait été le cas pour la
classe des fonctions intégrables au sens de Riemann.
On en était encore à la phase
observation; on explorait l'amas désordonné des fonctions pour y découvrir des
catégories intéressantes, mais, comme on ne savait pas expérimenter
sur les fonctions, c'est-à-dire calculer avec elles, s'en servir, on manquait
totalement de critères pour juger qu'une catégorie était intéressante.
Sans nier la portée que
pourraient avoir plus tard les diverses recherches auxquelles je viens de
faire allusion — et qu'elles ont en effet maintenant — on pouvait donc penser qu'il y
avait plus pressé et qu'il convenait de suspendre ces recherches jusqu'au
moment où leur nécessité s'imposerait.
En dépit de l'indifférence et
parfois de l'opposition manifestées à l'égard de la théorie des
fonctions de variables réelles, cette théorie se constituait sans qu'on s'en rendît compte,
grâce aux études spéciales, mais peut-être surtout grâce à l'analyse classique.
De plus en plus souvent, en
effet, il arrivait, connue cela s'était produit autrefois pour les séries
trigonométriques, que l'on rencontrait des fonctions dont l'analyticité
n'avait pas besoin d'être supposée.
Il en est ainsi, par exemple,
dans l'étude
des solutions des équations différentielles faites par la méthode de Cauchy-Lipschitz ou par
celle des approximations successives de M. Picard; dans la plupart des solutions du
problème de Dirichlet et des problèmes analogues ; dans la résolution des
équations intégrales.
Parfois, certaines des données ou
des solutions pouvaient être ou même étaient nécessairement des fonctions
discontinues ; il en est ainsi pour les deux derniers problèmes que je viens de
citer, pour certaines questions d'hydrodynamique ou du calcul des variations ;
d'autres fois, comme dans une question étudiée par M. Borel, la solution est bien
continue, mais elle est nécessairement non analytique.
On se familiarisait ainsi avec
cette idée qu'une discontinuité, une singularité n'est pas nécessairement une
monstruosité.
D'autre part, des recherches
comme celles de Poincaré sur la forme des intégrales réelles des équations
différentielles, ou celles de M. Hadamard sur les géodésiques, montraient
quelles conséquences lointaines et importantes pouvaient résulter< du fait qu'une
fonction réelle possède ou non une certaine propriété.
On apprenait ainsi lentement
à regarder ces fonctions réelles, à discerner qu'à leur sujet, tout aussi bien qu'au
sujet des fonctions analytiques, bien des questions fondamentales devaient être
posées.
La méthode directe du calcul des
variations, à laquelle resteront attachés les noms d'Arzelà et de M. Hilbert,
l'étude des développements déduits de l'équation de Fredholm allaient poser
nombre de ces problèmes.
On se trouvait d'ailleurs, et
depuis peu de temps, en possession d'un outil indispensable : la théorie des
ensembles de points. Dès le début de cette théorie, Cantor, du Bois-Reymond,
par exemple, en firent des applications aux fonctions réelles. C'est cependant
surtout dans l'étude des fonctions de variable complexe qu'on l'avait utilisée ; les
auteurs à citer seraient nombreux depuis M. Mittag-Leffler jusqu'à Poincaré,
jusqu'à MM. Borel, Goursat, Painlevé, par exemple.
Les modes de raisonnement qui
intervenaient dans ces recherches furent, dans la suite, appliqués à la théorie
des fonctions de variables réelles. C'est pourquoi, avant d'avoir
rien publié sur les fonctions de variable réelle, M. Borel avait déjà rendu les services
les plus éminents à la théorie de ces fonctions en introduisant des notions,
comme celle de mesure, dont le rôle a été capital et surtout en inaugurant
certains modes de raisonnements, par exemple en nous apprenant qu'on peut souvent
utiliser un ensemble dénombrable exactement comme s'il ne contenait qu'un nombre
fini d'objets.
En osant incorporer certaines
parties de la théorie des ensembles dans son cours de l'École
Polytechnique, Jordan réhabilitait en quelque sorte cette théorie; il affirmait
qu'elle est une branche utile des mathématiques. Il faisait plus que
l'affirmer, il le prouvait par ses recherches sur la mesure des aires et des
ensembles, sur l'intégration qui, comme ses études sur la rectification des
courbes, sur les séries trigonométriques, sur l’analysis situs, ont si
bien préparé certains travaux, les miens en particulier.
M. René Baire fut le premier à
consacrer toute son activité mathématique à la théorie des fonctions de
variables réelles ; il sut y trouver le sujet de recherches longues et
fondamentales.
On ne dira jamais assez
l'importance des travaux de ce savant dans la genèse du mouvement actuel; c'est à sa fine
analyse que nous devons de savoir discerner tant de propriétés qualitatives des
fonctions, et les faire intervenir dans nos raisonnements.
De plus et surtout, M. Baire a
établi une sorte de hiérarchie des fonctions ; les fonctions qu'il a ainsi
classées, les fonctions de Baire, comme les appelle M. de la Vallée
Poussin, comprennent toutes celles qu'on avait nommées jusque-là, même ces
fonctions si étranges qu'on avait formées comme exemples des singularités les
plus inattendues.
L'importance des fonctions
analytiques vient de ce qu'elles forment une famille cohérente en ce sens que,
lorsqu'on calcule à partir de fonctions de cette famille, on obtient comme
résultat une fonction de la même famille, du moins le plus souvent.
Les fonctions de Baire forment une famille
cohérente au même titre ; pour elles, la propriété indiquée ne souffre même plus
d'exception.
Dans bien des questions, il
n'existe aucune famille naturelle de fonctions plus vaste que celle des
fonctions analytiques et moins vaste que celle des fonctions de Baire.
On peut dire que l'analyse
classique visait surtout l'étude des fonctions analytiques ; l'étude des
fonctions de Baire est le domaine de l'analyse moderne. Les travaux qui se
rapportent à cette nouvelle analyse se rangent en deux catégories : travaux relatifs
à la représentation des fonctions, travaux relatifs aux calculs sur les fonctions.
Les beaux Mémoires de M. Baire
appartiennent à la première catégorie ; après lui, je me suis occupé aussi de
ces questions, mais c'est seulement de ceux de mes travaux qui se rangent dans la
seconde catégorie que je parlerai ici.
J'ai dit qu'on ne savait pas
calculer avec les fonctions générales ; on savait bien, f(x) étant
donnée pour x = x0, utiliser le nombre f(x0) dans
une addition, par exemple ; mais cela c'est calculer sur un nombre et non sur une
fonction, c'est faire de l'algèbre et non de l'analyse.
Les opérations portant vraiment
sur les fonctions, celles où les fonctions interviennent comme un tout et non comme
un catalogue de nombres à utiliser successivement, les opérations
fonctionnelles comme on les appelle, font intervenir simultanément toutes les valeurs
d'une fonction.
L'intégration et la dérivation
sont des opérations fonctionnelles ; pour calculer , il faut connaître f(x) depuis a jusqu'à b ;
pour calculer f(x0) il faut connaître f(x) depuis x0—h
jusqu'à x0+ k.
Leibniz et Newton ont fondé
l'Analyse parce qu'ils ont défini 1'intégration et la dérivation.
Toutes les opérations fonctionnelles qui se sont ensuite introduites dérivent
de ces deux là, et c'est pourquoi on continue souvent à diviser le calcul
infinitésimal en calcul différentiel et en calcul intégral.
Pour que des fonctions puissent
servir à quelque chose, pour qu'on puisse calculer avec elles, il faut avoir
défini des opérations fonctionnelles qui s'y appliquent, et le mieux
serait évidemment de définir pour elles, tout d'abord, l'intégration et la dérivation.
C'est précisément ce que j'ai eu la bonne fortune de faire.
Partant de principes très
simples, j'ai réussi à donner de l'intégrale une définition aussi facile à
manier que celle relative aux fonctions continues, et qui, contrairement à ce
qu'on aurait pu craindre, apporte des simplifications et non des complications.
Elle est pourtant si générale
qu'elle s'applique à toutes les fonctions bornées que l'on peut rencontrer, car la
nouvelle opération s'applique à toute fonction bornée rentrant, dans la
classification de M. Baire.
Les fonctions ainsi intégrables,
les fonctions sommables, ne forment donc pas une classe artificielle et
particulière comme les fonctions intégrables au sens de Riemann. On ne connaît
aucune fonction bornée qui ne soit sommable.
Malgré la grande généralité de
l'opération de l'intégration, on peut définir pour elle une
opération inverse, ce qui pourtant n'avait pas été fait pour le cas plus simple
de l'intégration au sens de Riemann.
Pour les fonctions d'une
variable, cette opération inverse est, presque en tout point, la dérivation
ordinaire qui se trouve ainsi étendue à une vaste classe de fonctions ; avec
quelque imprécision, on peut dire à toutes les fonctions à variation
bornée. Résultat assez curieux si l'on songe que jusque-là on savait seulement
qu'il y a des fonctions qui ont une dérivée et d'autres qui n'en ont
pas.
Sans doute, la classe des
fonctions dérivables ainsi trouvée n'apparaît pas avec ce caractère de
généralité impressionnant que possède la classe des fonctions
sommables, elle participe cependant de cette généralité : l'intégration indéfinie de
toute fonction sommable fournissant une fonction à variation bornée.
Au reste, cette classe de
fonctions n'est pas artificielle, car Jordan ne l'introduisit dans la Science
que parce qu'elle s'était imposée avec nécessité dans les études sur la rectification
des courbes ; entre les mains de Jordan, elle a montré tout de suite son importance
dans plusieurs questions, dans l'étude des séries trigonométriques, par exemple.
Pour les fonctions de plusieurs
variables, l'opération inverse de l'intégration, qu'on ne considérait guère, même
en ce qui concerne l'intégration des fonctions continues, est encore une sorte
de dérivation ; elle s'applique à une famille naturelle de fonctions :
les fonctions d'ensemble qui sont à variation bornée.
En possession d'opérations
applicables à de très vastes classes de fonctions, on peut, dès 1ors,
aborder bien des problèmes; soit des problèmes calqués sur ceux de l'analyse
classique, soit même des problèmes de cette analyse qu'on avait laissé de côté jusque-là
parce que la considération des fonctions discontinues n'en pouvait être écartée.
C'est ainsi que mes résultats sur
l'intégration et la dérivation ont été utilisés pour le calcul des fonctions
primitives et pour l'étude de l'existence des dérivées ; pour l'étude des
séries de Fourier, des autres séries trigonométriques et des séries qui
les généralisent ; pour l'étude des intégrales singulières et des
développements qui en résultent ; pour l'étude des équations intégrales et des
séries qu'on en déduit; pour l'étude du problème de Dirichlet et de la
représentation conforme ; pour l'étude du calcul des variations ; pour l'étude des
opérations fonctionnelles ; pour l'intégration des différentielles totales et
la recherche des conditions d'existence des fonctions analytiques ; pour la
construction de fonctions analytiques douées de certaines singularités ; pour l'étude
des propriétés des fonctions analytiques au voisinage de leurs singularités et,
en particulier, pour l'étude de la convergence de certaines expressions, comme la
formule de Poisson, au voisinage d'une ligne singulière ou sur cette ligne,
etc., par Mme Grâce Chisholm Young, par MM. Caratheodory, Denjoy, Falou,
Fejér, Fischer, Fréchet, Fubini, Haar, Hahn, Hardy, Hausdorff, Hedrich, Hellinger,
Hobson, Dunham Jackson, Jerosch, B.Levi, Lichstenstein, Lusin, Mazurkiewicz,
Montel, Ch.N. Moore, Plancherel, Picard, Pierpont, Pompeiu, Pringsheim, Radon,
Rajchmann, F. Riesz, M. Riesz, Severini, Sierpinski, Steinhaus, Souslin,
Toeplitz, Tonelli, de la Vallée Poussin, Van Vleck, Vilali, Weyl,
Young, et bien d'autres.<
Il est intéressant de noter que
certains de ces Auteurs n'ont publié aucun travail relatif,
spécialement, à la théorie des fonctions, mais que, pour la solution d'un
problème posé par l'analyse, ils ont trouvé, dans cette théorie, des ressources
qui leur étaient indispensables ; c'est ainsi que j'ai pu signaler, non
sans fierté, M. Picard comme étant l'un de ceux qui utilisèrent les notions
nouvelles.
Ces notions jouent en effet un rôle
essentiel dans ses belles recherches sur les équations intégrales linéaires de
première espèce.
D'autres Auteurs ont, au
contraire, publié des travaux étendus relatifs aux fonctions de variables
réelles. Au premier rang de ceux-ci, je tiens à signaler M. de la Vallée Poussin,
qui a fait faire tant de progrès à la nouvelle théorie et qui est le plus autorisé et le
plus écouté de ses protagonistes.
Grâce aux efforts de tous, la
théorie des fonctions de variables réelles a pris une importance telle que,
dans de nombreuses Universités étrangères, des cours spéciaux lui ont été consacrés.
A ma connaissance, de tels cours ont été professés en Allemagne, en Amérique, en
Angleterre, en Autriche, en Espagne, en Italie, en Pologne, en Russie, en
Suède, ainsi qu'en France, au Collège de France.
De nombreux livres d'enseignement
ont aussi été publiés; ils sont dus à des savants allemands, américains, anglais,
autrichiens, belges et italiens. En France, plusieurs livres de la
collection dirigée par M. Borel sont consacrés à ces sujets.
Sans doute, autrefois, bien avant
mes recherches par exemple, il existait des ouvrages traitant de la théorie des
fonctions, mais qui n'ont presque rien de commun avec les livres actuels.
Le Livre bien connu de mon Maître
Jules Tannery, par exemple, est une simple Introduction à la théorie des
fonctions analytiques d'une variable ; l'ouvrage classique de Dini prépare
surtout l'étude de la représentation des fondions continues à l'aide de séries
analogues à celles de Fourier.
Parmi les différences
entre les ouvrages anciens et les ouvrages récents, je signalerai que ce n'est que dans
ces tout derniers temps qu'on a commencé à voir dans les fonctions de plusieurs
variables autre chose qu'une collection de fonctions d'une variable ; la représentation
des fonctions de Baire, l'intégration et la dérivation, et bien d'autres problèmes
s'étudient directement pour le cas de plusieurs variables et l'on obtient ainsi des
résultats essentiels qui auraient été cachés si l'on s'était borné à considérer les fonctions
d'une variable fournies par les fonctions de plusieurs variables étudiées.
La plupart des traités signalés
plus haut sont spécialement consacrés à la nouvelle théorie, mais il s'en
trouve aussi où certaines parties de cette théorie nouvelle sont exposées à
côté de Chapitres traitant de l'Analyse classique.
Ce sont ces ouvrages que je
préfère ; il ne faut pas qu'une Analyse dissidente grandisse en voulant ignorer
l'Analyse classique ; il faut que celle-ci s'incorpore les plus féconds
résultats des recherches récentes.
C'est peut-être à cause de cette
préférence, qu'en voyant la place considérable que tiennent mes travaux personnels dans
certains traités volumineux consacrés à la nouvelle Analyse, j'ai parfois pensé
que leurs Auteurs exagéraient.
Insister sur cette impression
serait trop contraire au but de cette Notice ; je reviens à ce but en faisant
observer que mon activité ne s'est pas limitée à des études connexes à
l'intégration et à la dérivation, les seules auxquelles il sera fait allusion dans cette
Introduction.
Je veux cependant dire ici que
toutes mes recherches ont ce caractère commun de procéder d'une vue directe, et en
quelque sorte géométrique, des problèmes étudiés. Ce caractère a été assez
généralement méconnu et l'on emploie souvent le qualificatif «abstrait» en
parlant de mes travaux, comme on l'emploie d'ailleurs toujours dès qu'il s'agit
d'applications de la théorie des ensembles.
Certes, dans cette
théorie, il y a des parties abstraites ; on les place volontiers au début, aussi, ceux qui
n'ont fait qu'aborder l'étude des ensembles et l'ont ensuite abandonnée,
gardent-ils le souvenir de considérations abstraites, comme ce serait le cas pour celui qui
n'aurait pas poussé l'étude de l'Analyse plus loin que la définition des
irrationnelles.
Mais c'est la considération des
ensembles de points qui a jusqu'ici servi presque uniquement ; or un ensemble
de points est une figure géométrique au même titre qu'un polygone, la notion de
variable réelle, c'est-à-dire de nombre irrationnel quelconque, est aussi
d'origine géométrique ; un professeur n'exposera jamais cette notion sans s'aider
d'une figure qu'on peut, du point de vue logique, déclarer inutile et même nuisible
et qui, pour beaucoup d'esprits, est cependant pratiquement indispensable à la
compréhension.
La base de la théorie des
fonctions de variables réelles étant de nature géométrique, comme l'outil
qu'on y emploie, on ne doit pas s'étonner que son étude s'apparente à celle de
l'espace, à la géométrie de situation, et même à la géométrie ordinaire, qu'on y
utilise souvent les mêmes raisonnements et les mêmes figures.
Les développements analytiques
ont pris en mathématiques une place telle que nous oublions volontiers qu'ils
ne sont qu'un moyen et non un but ; peu à peu, nous considérons les
symboles du calcul comme les seules réalités ; toute recherche où il y a du calcul
est, sans hésitation, déclarée concrète, tandis que les autres sont qualifiées
d'abstraites.
On classe dans la géométrie des
mémoires où tout est formel, où l'on part de formules pour arriver à des formules, où tout
se passe dans le domaine complexe, mais on exclut de la géométrie des recherches,
comme celles de Jordan sur les courbes fermées, dans lesquelles on étudie, sans
symboles interposés, des faits du monde presque sensible de la géométrie.
Si l'on réagit contre ces
habitudes d'esprit, on reconnaîtra que les nouvelles recherches sont bien
d'essence géométrique, qu'elles ne sont pas abstraites, mais parfois très
délicates, parce qu'il y faut faire attention à des faits géométriques non
considérés jusque-là, qu'il y faut déduire longuement à partir de distinctions
inhabituelles, que l'on qualifie de subtiles, parce qu'elles sont
fécondes alors qu'on les croyait puériles et sans portée.
Plus tard, on inventera sans
doute des algorithmes qui permettront une étude analytique des fonctions de
variables réelles, ce sera un grand progrès ; pour l'instant, notre seule
ressource est d'imiter les modes de raisonnement de la géométrie dite
synthétique.
Dans tout le cours de mes études,
je me suis toujours particulièrement intéressé aux raisonnements où
n'intervenait aucun mécanisme analytique ; c'est sans doute à cette prédilection
que je dois d'avoir pu m'inscrire après Darboux, Jordan, M. Baire et M. Borel,
comme l'un des fondateurs d'une théorie dans l'édification de laquelle notre
Pays tient la première place.
Mots clefs : analyse / analytique / calcul / définition / dérivation / dérivée /
différentiel / ensemble / équation / étude / fonction / géométrie / intégrale / intégration / mathématique /
opération / problème / propriété / recherche / théorie / travaux / trigonométrique / variable / variation /
bornée / réelle / lebesgue
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