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Roger Heim
APERÇU GÉNÉRAL SUR MA CARRIÈRE ET MON ACTIVITÉ SCIENTIFIQUES
Adonné depuis mon plus jeune
âge à la Botanique, je me soumis momentanément, après avoir terminé mes études
secondaires au Collège Chaptal, aux directives familiales.
Celles-ci
me conduisirent aux mathématiques spéciales, puis à l'Ecole Centrale d'où je
sortais, en 1923, avec le diplôme d'Ingénieur des Arts et Manufactures, la
spécialité de chimiste, une aversion définitive pour l'industrie et le souvenir
de quelques cours brillants ou documentés qui m'ont laissé dans l'esprit la trace
de méthodes dont je continuerai à tirer profit.
Je reste, aujourd'hui encore, sous la bienfaisante
impression des leçons de Georges Urbain et des maîtres que je retrouve
aujourd'hui, MM. Léon Guillet, Jacques Hadamard, Léon Bertrand et Robert
Lespieau.
Mais la Botanique seule m'attire, les Champignons tout
particulièrement.
Déjà, je fréquente assidûment les séances de la Société
botanique de France, où MM. Louis Lutz et René Souèges m'accueillent avec
beaucoup de bienveillance, et le Laboratoire de Cryptogamie du Muséum, où je
rencontre l'attentive sympathie du D1' Fernand Camus, les conseils
incomparables, l'amitié et la science de Patouillard, le regard à la fois
paternel et scrutateur de Louis Mangin.
Encouragé, je publie mes premières notes. Plus tard, un
stage à l'Institut Pasteur, chez M. Gabriel Bertrand dont je deviens l'élève,
me permettra d'augmenter mes connaissances biochimiques et d'apprendre à
connaître, auprès de lui, la valeur précise du fait et du mot.
Je n'ai pas encore achevé ma licence de sciences
naturelles quand je suis désigné par la Faculté des Sciences de Grenoble comme
conservateur de l'Institut botanique alpin du Lautaret.
Dans les Alpes, j'amasse des matériaux, en même temps que
mon esprit s'éveille aux problèmes biologiques.
La répartition des Champignons aux hautes altitudes,
leurs conditions de vie, l'influence que le climat alpin exerce sur leur cycle,
l'existence d'une flore mycologique nivale, retiennent mon attention et
alimentent mes premiers travaux.
Peu de temps après, le Professeur Louis Mangin m'appelle
auprès de lui comme préparateur au titre des Hautes Etudes, puis, bientôt
après, comme assistant au Muséum.
Patouillard, Fernand Camus viennent de disparaître, après
Boudier et Hariot.
Lourde est ma tâche, et bien isolée ma position.
Cependant, je m'oriente résolument à la fois vers la flore exotique et vers
l'anatomie des Champignons supérieurs.
Peu à peu des échantillons parviennent au Laboratoire, du
monde entier. Je m'efforce de les étudier avec plus de précision, plus
d'objectivité, plus de sens critique qu'on ne l'avait fait précédemment.
Je me souviens que je tiens de famille un penchant pour
le dessin et pour la peinture.
Voilà pour l'analyse, que je m'emploie à rendre plus
incisive, toujours plus profonde, atteignant à la limite du possible,
c'est-à-dire de nos sens et des appareils dont nous disposons. Mais en même
temps je me rends compte, de plus en plus, que la systématique morphologique et
pulvérisatrice conduit à une impasse.
Je sens le besoin de plier les travaux même purement
descriptifs à des exigences nouvelles, non seulement anatomiques, mais
biologiques, même biochimiques.
Je crois comprendre que l'exacte connaissance des formes,
leur classement naturel, la recherche de leurs affinités, dépendent de cette
convergence équilibrée des méthodes.
En fait, la plupart de mes travaux seront marqués — et de
plus en plus — par le souci de faire participer, quand il se peut, à l'étude
d'une même question des techniques très diverses.
Ma thèse de doctorat est une monographie d'un genre
d'Agarics, Inocybe, dont l'étude est considérée par tous les mycologues
comme particulièrement difficile.
Parti de conceptions personnelles, très souples, j'ai
proposé une classification toute nouvelle de ce genre, en m'appuyant sur la
corrélation entre des particularités olfactives, chimiques, anatomiques.
J'apporte en même temps à l'étude approfondie des spores une contribution
essentielle, au même titre qu'à celle de toute l'anatomie générale et spéciale
des Agarics.
Après avoir étudié les Macromycètes d'Europe, je suis
entraîné bientôt vers la flore tropicale. Bien vite, je m'aperçois que l'étude
des matériaux morts, reçus de régions lointaines, ne saurait suffire en l'état
progressif des techniques et devant les exigences nouvelles des sciences
descriptives, qu'il convient qu'un mycologue aille sur place compléter sur le
vif les observations, leur ajouter le fruit de notes sensitives, préciser les
habitats, les conditions naturelles de vie des espèces, leurs divers états de
développement, bref les connaître telles qu'elles sont.
C'est ainsi qu'après la France, l'Espagne et le Portugal,
Madagascar et l'Afrique occidentale exercent sur moi leur profond attrait. Une
mission de 6 mois dans la Grande-Ile me livre une foule de notes et de
matériaux.
Une partie essentielle de mes travaux s'applique à
l'étude anatomique et systématique de ces Champignons : 8 fascicules des Observations
sur la flore mycologique malgache et la vaste entre-prise d'une Flore
mycologique de Madagascar dont 30 volumes sont prévus (2 déjà parus et 4 en
préparation) avec le concours d'une pléiade de mycologues, en sont déjà les
aboutissements.
En 1939, une mission en Côte d'Ivoire et en Guinée me
permet de prolonger mes observations sur le terrain tropical, de saisir en son
essence le captivant problème des Champignons des termitières dans leurs
rapports avec les fourmis blanches, et, certains le pensent, de le résoudre.
Entre temps, j'ai publié de nombreuses notes sur les
Champignons de régions variées du globe et sur de nombreux groupes
systématiques : Agarics, Lactaires et Russules, espèces lactifères. Bolets,
Gastéromycètes, Polypores, Pezizes, Urédinées.
Dans des études sur les spores et la sporogenèse,
j'examine l'ornementation sporale, son origine, les téguments, les pores
germinatifs.
J'ouvre le chapitre de la cinématique sporale par des
remarques sur l'évolution et la tératologie des spores chez les Agarics, les
Bolets, les Podaxons.
De l'hétérosporisme je tire matière neuve; des relations
entre le développement de la baside, du stérigmate et de la spore, de même. Il
en résulte certaine théorie sur l'élasticité orientée du profil sporal qui
n'est que l'application sensée sinon exacte d'une série d'observations bien
précises.
Puis, je saisis l'occasion de développer une thèse qui
m'est chère, selon laquelle l'introduction judicieuse de données d'ordre
chimique dans la systématique en général ne peut conduire qu'à d'heureuses
acquisitions.
Non seulement je l'appuie sur des exemples, mais je lui
apporte le poids des résultats de recherches propres, s'appliquant aux
pigments. aux oxydases, à l'acide cyanhydrique.
Je commence à introduire dans la systématique des
Champignons supérieurs des données de morphologie expérimentale tirées des
cultures pures réunies au Muséum dans cette réalisation par ailleurs fort utile
aux autres chercheurs, cette mycothèque à laquelle je me suis voué en ces
derniers dix ans.
L'examen constant de ces cultures, sur toute une gamme de
milieux s'appliquant à des espèces sans cesse augmentées, me permet des
distinctions spécifiques et intraspécifiques basées sur la seule expérience
culturale.
Ainsi apparaissent profondément modifiés par la vie en
culture, dans des conditions nouvelles et déterminées, des caractères qu'on
avait coutume de considérer comme très solides.
Ainsi se dévoilent des concomitances, des corrélations
entre des indices que la croissance sur milieux artificiels permet seule
d'apprécier à la lumière de conditions nutritives.
L'ensemble de ces acquisitions sur l’anatomie, la
systématique, la biochimie des Macromycètes m'autorise à brosser une synthèse
phylogénétique des Basidiomycètes. Je l'entreprends par secteurs successifs,
comme une construction logique dont les poutres sont depuis longtemps placées :
Lactario-Russulés, Agarics à hyménium tubulé, Porés, Hétérobasidiés, Bolets,
Clavaires et Chanterelles, Agarics ochrosporés, en forment les étapes.
Le principe de base, la ligne directrice, s'affirme de
mieux en mieux dans son essence vraie, dans sa nette simplicité ; tout le
système classique friésien, ai-je affirmé, ce principe dictatorial qui gouverne
depuis un siècle la systématique mycologique, et qui a permis tant de
remarques, tant d'acquisitions, doit aujourd'hui céder sa place, d’abord parce
qu'il est faux, ensuite parce que sa fécondité est tarie.
Non, la similitude dans l'hyménium, la communauté
d'aspect de l'appareil reproducteur, n'ont pas de valeur essentielle :
c'est de cette croyance, qui nous apparaît aujourd'hui simpliste, qu’est née la
confusion qui a fait une évidence d'une seule apparence.
Au contraire, de véritables affinités unissent entre eux
certains genres dispersés jusqu'ici parmi les Agarics, les Bolets, les Porés,
les Hydnés, les Gastéromycètes, alors que ces diverses appellations friésiennes
ne s'appliquent en vérité qu'aux réunions de formes de convergence.
A la suite de mes voyages en Afrique, j'ai abordé et
approfondi le passionnant problème des Champignons des termitières. J'ai
montré, à la fois par la voie des cultures pures et par celle de l'embryologie,
c'est-à-dire par deux méthodes bien distinctes, la parenté directe entre les
minuscules «mycotêtes» qui croissent sur les meules édifiées par les termites,
dans leurs chambres, et les gros Agarics épigés qui en sont - je 1’ai établi -
l'aboutissement.
Les mycotêtes sont les primordia cavernicoles des
Agarics, que j'appelle Termitomyces. L'«Entoloma microcarpum »
des auteurs, sans relation apparente avec les termitières parce que expulsé
prématurément des nids par les termites, est, lui aussi, un Termitomyces,
quoique profondément modifié par la réadaptation à l'habitat épigé de ses
ancêtres
Puis, j'ai dressé sur les faits la théorie, celle que
Pierre Grasse et Bathellier ont commencé à défendre, selon laquelle le termite,
ne «cultive» pas le Champignon, mais le consomme accidentellement et se montre
impuissant à le détruire.
Ainsi ai-je fait justice de la théorie classique
essentiellement anthropomorphique propagée et poétisée par Maeterlinck, et
ai-je défendu, en le basant sur des faits précis, un point de vue tout aussi
fertile qui nous livre un exemple, naturel et expérimental à la fois, de la
genèse d'un groupe d'espèces dont les caractères les plus nets sont liés à un
phénomène remarquable d'adaptation, à la dure conquête que les Champignons ont
réalisée eux-mêmes par leur plasticité, par leur effort.
Ma position au Muséum, la marque que m'a laissée la
formation d'ingénieur, la tradition transmise par Louis Mangin, m'ont conduit à
m'intéresser ça et là à des questions pratiques dont les Champignons sont les
agents.
La pathologie végétale a fait ainsi l'objet d'une partie
notable de mes préoccupations : maladies du Giroflier, des Albizzias, du Manioc,
du Quinquina, surtout du Bananier et du Caféier, des arbres forestiers et du
bois, notamment des espèces qui détruisent les charpentes et les bois d'oeuvre.
Cette dernière série de travaux trouve à la fois deux
raisons impérieuses dans mes tendances propres : l'amour de la forêt et une
spécialisation déjà ancienne dans l'étude des Polypores servie par la
réalisation de cultures artificielles.
J'espère qu'il en résultera quelque jour la publication
d'un Traité des maladies des arbres et du bois. J'en caresse le projet.
Mais dans toutes ces préoccupations d'ordre
phytopathologique, ce sont des connaissances mycologiques et l'esprit déductif
qui forment l'assise, car qu'est-ce que la pathologie végétale sinon la
recherche méthodique d'un agent pathogène à la découverte duquel s'associe
l'esprit de curiosité et dont la détermination définitive est liée avant tout à
la connaissance approfondie des espèces sous toutes leurs formes et selon tous
leurs organes?
Je rappellerai aussi mes études écologiques, relatives à
l'influence sur les Champignons et leur cycle vital du climat alpin, du milieu
sableux, de l'habitus stercoral, du climat tropical enfin dont la période
fugitive de sécheresse reste la cause première du développement des réceptacles
au milieu de saisons très pluvieuses.
Dirai-je enfin quelques mots de mon ardeur à explorer la
forêt Tanala, les cimes de l'Andringitra à Madagascar, ou du Nimba sur la
frontière guinéenne, des soins apportés à en tirer matériaux botaniques et même
zoologiques, de mes efforts à défendre la cause de la protection de la Nature,
à préciser la signification des réserves naturelles, à faire le point des
dévastations dont la forêt tropicale est l'objet.
Dirai-je que mon attention s'est fixée sur les
micromycètes des sols, et sur le rôle utile qu'ils jouent dans ces milieux ;
que je me suis intéressé à la toxicité des Champignons en général, chapitre
auquel j'ai apporté déjà deux contributions générales : d'abord un aperçu sur
les Champignons vénéneux et comestibles des colonies françaises, puis — en
collaboration avec R. Dujarric de la Rivière — un ouvrage sur les Champignons
toxiques, les modalités des empoisonnements et leur thérapeutique.
Mon enseignement, enfin, s'est exercé dans plusieurs
directions. En dehors de deux livres généraux de mise au point concernant l'un
la Reproduction chez les plantes, l'autre les Champignons dans la Nature, il
s'est manifesté surtout au laboratoire dans la formation de chercheurs, mais
aussi à l'amphithéâtre par des cours et des conférences, destinés aux auditeurs
du Muséum ou réservés aux élèves de l'Ecole Supérieure du Bois, de l'Ecole
supérieure de la France d'Outre-Mer, de l'Ecole Nationale des Eaux et Forêts.
Depuis dix ans, j'ai dirigé les recherches qui ont abouti
à huit thèses de doctorat. Je puis ajouter que j'ai pu contribuer largement, je
le crois, par les expositions mycologiques et les fréquentes excursions que
j'ai dirigées, à la diffusion des connaissances relatives aux Champignons et à
l'orientation de nouvelles vocations.
Le succès de la Revue de Mycologie, que j'ai
fondée et que je dirige depuis 1928, complète cette action.
Par deux fois, en 1932 et en 1938, l'Académie des
Sciences honorait mes travaux du Prix Montagne, et, en 1941, elle m'accordait
le Prix Marquet pour «l'ensemble de mon œuvre scientifique».
En 1938, un jury international (Genève) me désignait au
Prix De Candolle pour mon ouvrage sur les Lactario-Russulés de Madagascar.
Enfin, en 1943, l'Université de Paris voulait bien me
décerner le Prix Eugénie de Rosemont «réservé à un savant qui a rendu service à
la science».
Ces distinctions, et par ailleurs les opinions qu'ont
bien voulu exprimer sur mes travaux des collègues de Grande-Bretagne, des
Etats-Unis, d'Espagne, de Roumanie, du Portugal, d’Autriche et d'ailleurs, sont
pour moi la meilleure récompense et le plus précieux encouragement que j'aie
jusqu'ici reçus de mon labeur.
Cette activité, je l'ai poursuivie après le départ de M.
Louis Mangin, depuis 1933, comme sous-directeur du Laboratoire de Cryptogamie
du Muséum, qu'a dirigé alors mon ami très cher et très regretté Pierre Allorge.
En 1941, l'Ecole pratique des Hautes-Etudes me confiait
la direction d'un laboratoire de mycologie tropicale, pure et appliquée, auquel
je consacrais de suite et tout naturellement une grande part de mon activité.
Enfin, un vote unanime de l'Assemblée des Professeurs du
Muséum, puis de l'Académie des Sciences, me portait à la direction de la chaire
de Cryptogamie : on voulait bien par cette désignation, me juger capable non
seulement de diriger les études des divers secteurs de la Mycologie, mais aussi
de présider au développement des disciplines si variées de la Botanique
cryptogamique en général dont l'ensemble constitue le domaine de cette chaire :
algologie marine et d'eau douée, bryologie, lichénologie et leurs prolongements
appliqués vers l'hydrobiologie et la biologie des sols.
Résumons cette activité en quelques mots, montrons de
quelle impulsion elle procède et dans quelle direction elle s'affirme.
Une formation physico-chimique et mathématique s'est
greffée, plus par obligation que par disposition, sur une vocation innée de
naturaliste liée à la curiosité de l'esprit et au sens de l'observation.
A ces acquisitions s'est jointe une propension vers la philosophie,
qui eut pu m'engager plus complètement à me diriger vers l'une des carrières
qu'ouvre celle-ci.
Enfin, un goût marqué pour le dessin. Voilà pour la
formation.
On s'explique donc mes préférences. L'étude de la
systématique, commencée par les plantes phanérogames et par les Algues marines,
a été poursuivie chez les Champignons où elle offre une difficulté propre qui
m'attire, et parce que je pressens qu'on peut, qu'on doit en tirer des notions
claires, en raison même de celte tendance à vouloir simplifier le difficile,
disséquer le complexe, éclaircir le confus, tout en gardant toujours dans
l'esprit l'image des traits directeurs.
La conclusion qui en est résultée;se mesure dans le
déroulement même des objets successifs de mes travaux : la connaissance et le
pouvoir de reconnaissance des êtres à l'étude desquels mon esprit s'est éveillé
; leur pure valeur systématique acquise par l'exercice répété sur le terrain;
la gymnastique éternelle, jamais lassée, de leur détermination pratique ; les
moyens de les décrire mieux, c'est-à-dire la morphologie ; l'exploration de
leur structure intime, c'est-à-dire l'anatomie ; les mécanismes de leur
épanouissement, autrement dit l'embryologie ; quelques traits essentiels de
leur chimisme ; les concomitances entre ces divers caractères et aspects
généraux, qui forment autant de nœuds d'une trame taxinomique solide ; puis le
mouvement des Champignons dans leur vie propre, leurs réactions vivantes au
motif expérimental; enfin, de tout ce faisceau, la synthèse qui se dégage, et
dont la phylogénie n'est qu'une expression plus commode que valable, plus utile
qu'acquise.
En somme, le trait essentiel de ma méthode de travail,
c'est d'appliquer à des questions d'ensemble choisies, un autre ensemble de
techniques diverses, de méthodes convergentes.
Une classification naturelle et une phylogénie des
Basidiomycètes ; la position et la nature des Champignons liés aux termitières,
prodigieux exemple de l'adaptation ; la valeur de l'élément physionomique
hyménien, pli, feuillet, tube, pointe dans le; temps et dans l'espace ; la
nature des rapports entre les Insectes et les Champignons, à travers les
modalités diverses du parasitisme ou de la cohabitation qui les assemble ;
finalement, et bien entendu, la définition de l'espèce en mycologie, but
suprême de toutes ces recherches !
—Voilà quelques-unes des préoccupations successives et
essentielles auxquelles je me livre depuis 25 ans, avec toute l'ardeur de ma
pensée. Le reste est distraction incidente, jeu momentané ou obligation
utilitaire —.j'allais dire administrative.
Derrière l'ensemble de mes publications, mycologiques et
phytopathologiques, toxicologiques et technologiques, c'est la pureté des faits
qui me passionne véritablement, le fait essentiellement scientifique et
désintéressé. Je crois qu'aujourd'hui, ici même, l'occasion m'est venue de le
dire.
En avril 1945, la section de Botanique de l'Académie des
Sciences prenait la décision de me présenter en deuxième ligne à la succession
de M. Marin Molliard, alors que, déporté de la Résistance dans un camp
d'extermination allemand, je voyais chaque jour se réduire mes chances de salut
vers un retour de plus en plus problématique. Mieux, plusieurs membres de
l'Académie voulaient bien porter leur suffrage sur mon nom.
L'illustre Compagnie, par le souvenir qu'elle exprimait
ainsi, alors que loin de là je traversais des moments difficiles, qui pouvaient
même paraître insurmontables, non seulement honorait grandement mes travaux,
mais surtout manifestait une sorte de confiance en ma destinée. A ce geste qui
m'accueillit en quelque sorte sur le sol de la patrie retrouvée, j'ai été
sensible plus que je ne saurais jamais l'exprimer.
Aujourd'hui revenu à la vie, ayant renoué avec mes
occupations d'hier, retrouvé mon chemin, je suis amené à suivre les
encouragements qui m'ont été donnés durant ma captivité et depuis mon retour.
L'éminent cytologiste Alexandre Guilliermond a
dernièrement disparu ; un jeu inéluctable oblige à désigner son successeur au
fauteuil qu'il a occupé avec tant d'autorité à l'Académie des Sciences. Ma
candidature à ce fauteuil s'inspire de la considération suivante : La
Mycologie, science éminemment française, et restée telle, illustrée
successivement à l'Institut par les Léveillé, les Montagne, les Tulasne, plus
près de nous par Prillieux surtout, et dans une appréciable mesure par Van Tieghem,
par Mangin, Costantin, par Molliard, par Guilliermond même, spécialiste
incontesté des Levures, n'est plus représentée actuellement au sein de
l'Académie.
Il est apparu jusqu'ici que la désignation d'un
représentant — pour le moins — de la science des Champignons et de son
prolongement essentiel, la pathologie végétale, était une tradition que
l'Académie a toujours suivie, et qui répond sans doute à la légitime et
constante préoccupation de ses membres, quelle que soit leur spécialité.
En effet, le domaine des Champignons représente une part
considérable de la Botanique et de la Biologie — deux termes qui se confondent
quand il s'agit de ce vaste embranchement, remarquable non seulement par la
multiplicité et la diversité des espèce, qui le composent —150.000 peut-être —,
mais surtout par ses prolongements dans le double secteur de la science pure et
des applications.
On est loin d'avoir éclairé l'origine des divers groupes
de Champignons, leurs relations de parenté, les détails intimes de leur
structure et des téguments de leurs spores, le contenu de leurs cellules et la
composition de leurs membranes.
On est loin d'en avoir terminé avec leur classification,
et, bien entendu, avec le dépouillement des formes des tropiques dont la flore
recèle encore de multiples inconnues.
Leur plasticité, leur poly-morphisme, la faculté de les
cultiver en milieux artificiels et même d'obtenir leur fructification sous ces
conditions, la diversité de leurs modes de vie, les particularités de leurs
processus d'adaptation les désignent aux préoccupations les plus variées et les
plus élevées de la biologie générale et comparée, dans une voie qu'a déjà
parcourue Alfred Giard.
La richesse de leur contenu livre aux cytologistes et aux
chimistes leurs pigments, les résines de leurs revêtements, leurs sucres, des
glucosides, voire des alcaloïdes. Quant aux particularités de leurs processus de
dissémination, ils appartiennent à la physique, la décharge des spores hors de
leurs appareils à la balistique.
L'application de formules algébriques à la description
physionomique du réceptacle, à l'expression précise de l'écartement des
lamelles, ou à la surface comparée de l'hyménium, par exemple, autorisent dans
une certaine mesure un mathématicien à exercer sa sagacité.
Enfin, l'un des chapitres les plus captivants et les plus
féconds de la génétique trouve matière dans la sexualité étrange et complexe
des Champignons, petits et grands.
Quant aux applications dans les domaines pratiques elles
sont considérables. En contre-partie de la comestibilité des Champignons
charnus et de la culture industrielle des espèces alimentaires apparaissent et
se renouvellent sans cesse, à chaque saison, indigestions et empoisonnements.
La toxicologie des Champignons vient ainsi prendre place
à la fois dans la chimie et dans la thérapeutique générale, et il est permis de
penser que des corps toxiques extraits des plus pernicieux de ces organismes
pourront être utilisés quelque jour, à dose infime, dans le traitement
d'affections connues.
Mais déjà la médecine s'empare de la pénicilline dont les
effets sont prodigieux, et l'on peut supposer que des exsudats autres que celui
qui lui donne naissance auront également bientôt leur célébrité.
Enfin, de nombreux Champignons renferment de l'aneurine
et des flavines qu'on extrait aujourd'hui communément des levures, alors que
d'autres vitamines (A, PP et C) se retrouvent en quantité appréciable parmi les
Hyménomycètes.
Mais les Champignons ne sont pas que des auxiliaires.
Parmi eux, les parasites des cultures causaient chaque
année avant cette guerre 12 milliards de perte brute à l'économie de l'empire.
Vigne, céréales, arbres fruitiers, agrumes. Bananier, Caféier, Cacaoyer, Canne
à sucre, Hévéa, paient un lourd tribut aux micromycètes et aux macromycètes
parasites.
La pathologie végétale, représentée en France par
Prillieux, Delacroix, Mangin, Viala et Foëx, est devenue l'une des branches les
plus importantes de l'Agriculture.
Pareillement, l'homme et les animaux sont les victimes de
nombreuses mycoses : ici encore la médecine rejoint la mycologie, dans une
spécialité où domine le nom de Sabouraud.
Enfin, toute une partie de la pédologie et de l'agrologie
touche aux Champignons. Entrent en jeu dans ce cas les espèces microscopiques
qui participent dans les sols aux cycles de l'azote et du carbone,
conjointement aux Bactéries utiles dont dépend en partie la fertilité d'une
terre arable.
Enfin on sait toute l'importance des fermentations dans
de nombreuses industries, non seulement dans celles qui nous sont familières
mais aussi là où l'étude ouvre de nouvelles possibilités à l'obtention de
produits coloniaux tels que le cacao, les huiles, graisses et «laits» végétaux.
On peut dire, pour conclure, que les Champignons
constituent l'un des domaines les plus importants de la connaissance et de la
recherche, de la spéculation et de la pratique.
Et je laisse ici de côté tout ce qu'ils peuvent apporter
à l'art, tout ce qu'ils ont prêté à la légende, tout ce que l'histoire humaine
de la Nature leur doit d'erreurs, et la peinture de motifs, et la poésie de
quatrains.
Collaborateur intime de Louis Mangin, — élève de M.
Gabriel Bertrand, — continuateur de N. Patouillard, — bénéficiaire, très jeune
alors, de l'amitié et des encouragements de l'abbé H. Bourdot et de M. René
Maire — ces trois derniers, maîtres indiscutés de la Mycologie contemporaine,
—aujourd'hui président de la Société mycologique de France, — directeur de la Revue
de Mycologie que j'ai fondée en 1928, — professeur au Muséum national, où,
attaché depuis vingt années, j'occupe maintenant la chaire de Cryptogamie, —
directeur du Laboratoire de Mycologie et Phytopathologie tropicales de l'Ecole
pratique des Hautes-Etudes, — enfin membre titulaire de l'Académie
d'Agriculture et de la Société de Biologie, — je me crois autorisé par ces
titres, que j'assemble ici parce qu'on veut bien m'en prier, et peut-être par mes
travaux, qui portent sur une grande partie du domaine systématique, biologique
et pratique de la mycologie, à poser ma candidature à la succession d'un homme
de science, universellement réputé, qui m'a toujours manifesté une amitié
d'autant plus précieuse qu'il ne la livrait qu'avec beaucoup de prudence.
C'est avant tout en tant que représentant de l'Ecole
mycologique française que j'ose écouter aujourd'hui les encouragements et les
conseils que des collègues et mes amis m'apportent, et suivre ainsi la voie que
plusieurs membres éminents de l'Académie m'ont indiquée, avec l'appui de leur
sympathie et, plus encore, de leur très grande indulgence.
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