Dessaux : Réserve glycogénique du cœur des mammifères
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Thèse présentée à la faculté des sciences de l’Université de Lyon
pour obtenir le grade de Docteur es sciences naturelles

par



Georges DESSAUX

La réserve glycogénique du cœur des mammifères.



Etude expérimentale des variations du taux du glycogène cardiaque chez le rat, sous l’influence des modifications de tension des gaz du sang et dans divers états de choc



soutenue en 1954

devant la commission d’examen :

Cordier, président
Kuhner, Mentzer, examinateurs




INTRODUCTION


Le problème du métabolisme du myocarde en général et de celui des hydrates de carbone, en particulier, est à la fois, à considérer le nombre des travaux qui lui ont été consacrés, un de ceux qui ont le plus retenu l'attention des chercheurs et, à voir combien nos connaissances sont encore limitées en ce domaine, un de ceux qui ont été les plus pauvres en résultats positifs et indiscutables.


Le coeur, en effet, représente un type de muscle très particulier : muscle strié et muscle involontaire, muscle à contraction automatique et à contraction rythmique.


L'analogie de structure du myocarde et du muscle squelettique a suggéré, à priori, l'identité -ou, au moins, l'analogie- des processus chimiques qui servent de support aux phénomènes mécaniques ; aussi, de nombreux auteurs ont-ils, à chaque progrès franchi dans la connaissance des mécanismes du fonctionnement musculaire, sous-entendu ou exprimé l'opinion que ces résultats étaient applicables -mutatis matandis- au muscle cardiaque.


L'automatisme, c'est à dire dans le cas du fonctionnement normal, la non-nécessité d'un stimulus nerveux pour déclencher chaque contraction, et la rythmicité, c'est à dire la succession, pendant un temps parfois considérable, de phases de contraction et de décontraction, apparaissaient même comme des conditions particulièrement favorables à la constitution d'états d'équilibre entre les divers produits du métabolisme, états d'équilibre qui juxtaposent des quantités plus ou moins importantes de métabolites intermédiaires qu'on peut ainsi espérer saisir et doser.


Ainsi, donc, l'étude du métabolisme cardiaque a suivi, pas à pas, d'une part l'évolution de nos connaissances sur la biochimie du muscle squelettique, d'autre part les méthodes d'investigation de l'activité cardiaque.


A qui jette un coup d'oeil d'ensemble sur l'évolution de nos conceptions sur la chimie musculaire depuis trois-quarts de siècle, celle-ci présente trois grandes périodes.


La première s'ouvre par la découverte du glycogène par CLAUDE BERNARD et son identification, dans le muscle et le foie où il constitue une réserve ultérieurement utilisable comme "combustible" pour la contraction musculaire ; les étapes de cette dégradation ne commencent guère à être connues avec quelque précision qu'aux environs de 1920, par les importants travaux de l'école de MEYERHOF, qui inaugurent les notions de métabolite intermédiaire et de cycle de dégradation.


Les recherches ultérieures viseront à saisir un nombre de plus en plus grand de tels intermédiaires, à les doser, à préciser les conditions de leur synthèse et de leur dégradation et les anomalies de leur métabolisme.


Enfin, depuis une vingtaine d'années environ, et parallèlement avec le type d'études qui vient d'être défini, l'attention des chercheurs semble plus spécialement attirée par la considération, à côté des phénomènes strictement chimiques -transformations de matière- des mutations énergétiques qui les accompagnent et du potentiel énergétique que représentent les divers composés formés au cours des transformations métaboliques.


Cette évolution des conceptions biochimiques a été suivie avec les méthodes spécifiques de l'investigation de l'activité cardiaque.


Aux premiers travaux, qui réservent toujours une place prépondérante à l'étude morphologique de la contraction cardiaque par les techniques de l'enregistrement graphique et où la recherche chimique (lorsqu'elle a lieu) est toujours postérieure à l'expérimentation physiologique, succèdent, à partir de 1910, les techniques de perfusion du type de la préparation "Coeur-poumons» de Starling.


C'est sur ce genre de dispositif expérimental qu'a été effectuée la majorité des travaux que nous aurons à citer en référence.


Les critiques qui ont été faites à ce mode opératoire ont conduit -en dépit de la complexité des phénomènes qui s'observent alors- les expérimentateurs à opérer, depuis une dizaine d'années, sur l'animal intact.


C'est exclusivement à ce dernier genre de techniques que nous avons fait appel pour la partie expérimentale de ce travail.


L'exposé de ce travail comprend trois parties.


Dans la première nous étudierons l'état des connaissances. actuelles sur la nature et l'utilisation des réserves hydrocarbonées du myocarde. Nous ferons successivement l'analyse des réserves énergétiques du coeur et l'étude des mécanismes de dégradation de ces réserves.


Nous essaierons, ensuite, de voir dans quelle mesure la consommation d'oxygène du coeur peut nous renseigner sur le niveau de ses dépenses énergétiques.


Nous ferons, enfin, une revue rapide des mécanismes régulateurs qui interviennent pour modifier le niveau de cette réserve lorsque le myocarde se trouve placé dans des conditions particulières de fonctionnement.


Les deux parties suivantes sont consacrées à l'exposé de nos recherches personnelles.


Dans la seconde partie, nous faisons l'exposé et l'analyse critique des méthodes que nous avons utilisées pour le dosage de la réserve glycogénique. Nous avons ensuite cherché à établir la valeur "physiologique" de cette réserve et sa répartition entre formes libre et liée.


Puis nous consacrerons plusieurs chapitres à l'étude des modifications de la réserve sous l'action du manque d'oxygène dans ses diverses modalités, chez l'animal asphyxique et, enfin, sous l'effet de l'intoxication carbonique.


Nous désignons sous le nom d'anoxie aiguë, l'inhalation d'azote pur et d'hypoxie, celle d'un mélange gazeux appauvri en oxygène.


Le terme général d'hypercarbie correspond à tous les mélanges gazeux contenant un taux d'anhydride carbonique supérieur à 0,03 %. Celle-ci contribue à réaliser soit une asphyxie, soit une intoxication carbonique pure.


Dans l'asphyxie brutale, l'animal respire, d'emblée, soit du C02 pur, soit un mélange d'azote et de C02, le taux de ce dernier étant supérieur ou égal à 50 % : il s'agit, donc, d'anoxies hypercarbiques.


Dans l'asphyxie prolongée, le mélange gazeux est pauvre en oxygène (5 %) et a une teneur en C02 qui permet une survie de plusieurs heures (1 à 20 %) : hypoxies hypercarbiques.


Dans l'intoxication carbonique pure, le mélange gazeux présente un taux d'oxygène normal (20 %) et une concentration en C02 supérieure ou égale à 20 %.


La troisième partie a pour objet l'étude des modifications de la réserve glycogénique cardiaque au cours des états de choc provoqués par un certain nombre d'agents agressifs, en vue d'une contribution à la connaissance de la pathogénie de ces états.


Toutes nos recherches expérimentales ont été effectuées sur le rat.



CONCLUSIONS


1°/- Dans les conditions physiologiques normales, le coeur du rat dispose d'une réserve de glycogène relativement constante. Son taux est d'environ 480 mg par 100 grammes de tissus frais.


Cette réserve se présente sous deux formes : une fraction libre, lyo-glycogène, qui constitue 55 % de la réserve totale (soit 265 mg p. 100 g. environ), et une fraction liée, desmo-glycogène, qui constitue les 45 % (215 mg p. 100 g.) restants.


Dans l'état actuel de nos connaissances sur le "turn-over" du glycogène dans le métabolisme du myocarde, in situ, il est difficile de savoir quelle est la part que prend l'une ou l'autre fraction dans l'énergétique de la contraction systolique.


L'ensemble de nos recherches permet, toutefois, de penser que le lyo-glycogène représente la fraction rapidement utilisable pour les besoins immédiats du métabolisme myocardique quand cet organe est obligé de modifier, physiologiquement, son activité.


2°/- La réserve glycogénique est très sensible au manque d'oxygène.


Dans l'anoxie aiguë, elle disparaît presque complètement, en 2 minutes environ.


La fraction qui subsiste alors (de l'ordre de 50 mg. par 100 g.) est essentiellement constituée par du desmo-glycogène (96 %).


Dans l'hypoxie sévère (5 % d'oxygène), cette réserve diminue progressivement pendant les 150 premières minutes de l'expérience et se stabilise ensuite à un niveau voisin de 200 mg p. 100 g.


Les proportions du lyo- et du desmo-glycogène sont alors, respectivement, de 28 et 72 % .


Les deux formes de la réserve sont utilisées au cours de l'hypoxie prolongée, mais le lyo-glycogène l'est davantage que la forme liée.


Le taux de 200 mg pour 100 g. parait être la teneur-limite inférieure compatible avec une suivie prolongée dans une atmosphère appauvrie en oxygène.


Cet équilibre énergétique est cependant précaire et conduit souvent à la défaillance fonctionnelle du myocarde, accompagnée d'un effondrement du taux du glycogène.


3°/- Dans l'asphyxie aiguë, provoquée par inhalation le CO2 pur ou d'un mélange d'azote et de CO2 à forte concentration (80 % et 50 %), le niveau de la réserve glycogénique s'abaisse, mais l'utilisation de la réserve est toujours réduite par la présence de l'anhydride carbonique.


Le taux du glycogène, au moment de la mort, varie avec la concentration du CO2 dans le mélange gazeux.


Le freinage exercé par l'anhydride carbonique à haute concentration, sur la rapidité de la glycogénolyse cardiaque est proportionnel à sa concentration.


Le problème se pose de savoir si cette moindre utilisation de la réserve glycogénique relève de l'action modératrice générale de l'acide carbonique sur les processus oxydatifs cellulaires ou d'un effet freinateur de la glycogénolyse, causé par la forte acidose gazeuse.


4°/- L’asphyxie de longue durée, résultant de l'inhalation de mélanges gazeux, pauvres en oxygène (5 %) et plus ou moins riches en C02 (1 à 20 %) pendant des périodes pouvant atteindre jusqu'à 5 heures, se différencie de l'hypoxie par les caractères suivants :


L'hypoxie de même sévérité (5 % d'oxygène) abaisse la réserve glycogénique à 200 mg par 100 g. en 3 heures


En présence d'un taux de 4 à 8 % de CO2, dans un mélange gazeux renfermant 5 % d'oxygène, la réserve glycogénique conserve sa valeur normale ou, même, augmente légèrement.


Avec un taux de 20 % de CO2, la réserve n'est plus "protégée" et les effets de l'asphyxie sont alors comparables à ceux de l'hypoxie.


5°/- L'étude de la réserve glycogénique cardiaque après 3 heures d'asphyxie dans des mélanges gazeux contenant des taux d'anhydride carbonique s'échelonnant entre 0 et 20 %, montre que la protection de la réserve, exercée par la CO2, croît entre 0 et 4 %, est maximum entre 4 et 12 % et décroît ensuite pour s'annuler aux environs de 20 %.


Les modalités de l'action métabolique des concentrations faibles et moyennes de CO2 produisant ces effets restent à déterminer. Mais la diminution de la réserve glycogénique du coeur dans les asphyxies prolongées et sévères (5 % d'oxygène et 20 % de CO2 pendant 5 heures) est due, partiellement au moins, à l'aggravation de l'état d'anoxie par l'action du CO2 par la fonction respiratoire (effet BOHR et pré-oedème pulmonaire).


6°/- La diminution de la réserve glycogénique au cours de l'hypoxie est caractérisée par une "fonte" plus marquée du lyo- que du desmo-glycogène


L'effet protecteur de l'acide carbonique, durant l'asphyxie, s'exerce préférentiellement sur la desmo-glycogène, qui garde des valeurs voisines de la normale.


Cette particularité permettra peut-être, d'orienter des recherches ultérieures sur le mécanisme d'action de l'acide carbonique sur le métabolisme énergétique du myocarde.


7°/- L'intoxication carbonique pure ne produit pas de modifications du niveau de la réserve glycogénique du coeur.


Les fortes tensions de CO2 provoquent, cependant, une diminution du taux de cette réserve.


Les troubles de la fonction respiratoire permettent, comme dans l'asphyxie sévère, d'expliquer cette variation.


Une hypercarbie importante (20 % de CO2), prolongée pendant 3 heures, ne modifie ni le taux du glycogène, ni sa répartition entre formes libre et liée.


8°/- Parmi les divers types de chocs que nous avons étudiés, seul le choc traumatique provoque, à la période terminale, un abaissement sensible et significatif du taux de la réserve glycogénique du coeur, comparable à celui observé dans les états anoxiques. La diminution de la réserve de glycogène suit le développement de l'état de choc.


9°/- Le choc ischémique, provoqué par la levée d'un garrot, ne s'accompagne pas de variations importantes du taux de la réserve glycogénique du coeur.


Par contre, on note au cours de la période de garrottage, une élévation sensible du taux de cette mène réserve.


10°/- L'administration d'une dose unique d'adénosine-tri-phosphate de sodium, provoquant un choc qui se termine par la mort en 8 heures environ, entraîne une augmentation de la réserve de glycogène du myocarde.


11°/- Les rats soumis à des brûlures cutanées étendues présentent, lorsque l'état de choc est établi, une forte élévation de la réserve de glycogène du coeur (592 mg. p. 100 g.).


L'élévation du niveau de cette réserve porte surtout sur le glycogène libre.


12°/- Une partie importante de la réserve cardiaque de glycogène (200 mg p. 100 g. environ) est fixée, chez le sujet brûlé, sous une forme particulièrement stable qui n'est pas mobilisée par l'anoxie brutale (inhalation d'azote pur) : cette fraction non-utilisable est constituée, en majeure partie (80 %), par du glycogène lié.


13°/- L'intoxication histaminique se traduit, en ce qui concerne le glycogène cardiaque, par une faible augmentation du taux moyen de la réserve, accompagnée d'une prépondérance légère de la fraction libre.


Comme dans les brûlures, la réserve comporte une fraction inutilisable dans l'anoxie qui représente, environ, 200 mg par 100 g. de coeur, avec une forte prédominance de l'élément desmo-glycogène (85 %).


14°/- On n'observe pas chez les rats brûlés, traités aussitôt après l'agression par la désoxycorticostérone, l'augmentation du taux de la réserve glycogénique du coeur caractéristique de cet état de choc.


15°/- L'administration de désoxycorticostérone à des rats brûlés ou intoxiqués par l'histamine, à la période du choc établi, ne modifie pas sensiblement les possibilités d’utilisation de la réserve glycogénique du coeur dans l'anoxie aiguë, sauf dans le cas où l'animal est traité par la désoxycorticostérone, aussitôt après la brûlure.


L'utilisation de la réserve de glycogène est alors un peu plus complète.


II reste cependant, encore, une fraction importante non-utilisée (170 mg p. 100 g) constituée presque uniquement (92 %) par du desmo-glycogène.


16 °/- Les particularités du métabolisme du glycogène cardiaque au cours des chocs que nous avons étudiés montrent l'individualité pathogénique des divers types d'agression.


Au facteur anoxique, commun à ces divers états, se surajoutent des facteurs humoraux anormaux qui impriment, dans chaque cas, des déviations métaboliques caractéristiques.







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