Di Jeso : Opheline et ses dérivés
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Thèse présentée à la faculté des sciences de l’Université de Paris
pour obtenir le grade de Docteur es sciences-physiques

par



Fernando DI JESO

OPHELINE, PHOSPHO-OPHELINE, OPHELINE-PHOSPHOTRANSFERASE



soutenue LE 4 JUIN 1965

devant la commission d’examen :

E. Lederer, président
F. Chapeville, Van Thoaiexaminateurs




INTRODUCTION


Les phosphagènes constituent un chapitre de biochimie comparée qui a beaucoup évolué ces dernières années.


Il s'est ouvert, il y a trente cinq ans par les recherches de Fiske et Subbarow (1927, 1929), d'Eggleton et Eggleton (1927, 1928, 1929') et de Meyerhof et Lohmann (l928, 1928) qui conduisirent à la découverte de la phosphocréatine (Fiske et Subbarow, 1929) et de la phosphoarginine (Meyerhof et Lohmann, 1928).


La synthèse de la première de ces deux substances a été réalisée beaucoup plus tard. par Zeile et Fawaz (1958). Ennor et Stocken (1948). Pradel. Thiem. Pin et Thoai (1959) ; celle de la seconde ne l'a été réalisée qu'en 1962 par Thiem, Thoai et Roche, et par Cramer, Schieffele et Vollmar (1962), selon deux méthodes différentes.


La phosphoglycocyamine et la phosphotaurocyamine ont été découvertes, il y a dix ans. par Thoai et collaborateurs (1955, 1954), isolées et synthétisées par Thoai et Thiem en 1957.


La phospholombricine a été découverte en 1955 par Thoai et Robin (1954) et synthétisée en I960 par Beatty, Ennor et Magrath.


La phosphohypotaurocyamine a été identifiée par Robin et Thoai en 1962 ; elle n’a pas encore été synthétisée, mais elle a été obtenue à un haut degré de pureté par transphosphorylation enzymatique en 1962 par Thoai, Robin et Pradel.


Après les premières études poursuivies sur la répartition de la phosphocréatine, de la phosphoarginine et des deux bases guanidiques libres dans le règne animal, il a été généralement admis que la répartition de ces dérivés guanidiques suit un ordre phylogénétique (Needham, Needham, Baldwin et Yudkin, 1952).


En effet, on avait retrouvé la créatine (Hunier, 1928) et la phosphocréatine (Eggleton et Eggleton, 1928) chez les Vertébrés et non chez les Invertébrés, dont les muscles ne paraissaient renfermer que de l'arginine et de la phosphoarginine (Baldwin et Needham, 1954 ; Eggleton et Eggleton, 1928 ; Meyerhof, 1928, Needham, Needham, Baldwin et Yudkin, 1952 ; Schutze, 1952).


Plus tard, on a mis en évidence la phosphocréatine. mais non la phosphoarginine. chez des Protochordés ; de plus, ces deux phosphagènes coexistent chez des Echinoidés.


Ces données semblaient confirmer les théories de l'évolution, selon lesquelles une transition biochimique entre Vertébrés et Invertébrés était observée au même niveau de la classification que celui auquel se manifeste une transition morphologique entre ces deux groupes zoologiques (Baldwin et Yudkin. 1950).


Depuis dix ans un nombre important de recherches. poursuivies surtout sur les Annélides, mais aussi sur d'autres groupes zoologiques comme les Porifères, ont révélé des cas de plus en plus nombreux d'animaux appartenant à la même classe zoologique, quelquefois à la même famille, et possédant des phosphagènes différents.


La contribution la plus importante à ces recherches a été apportée par Thoai et ses collaborateurs (Thoai, Roche, Robin et Thiem, 1955 ; Thoai et Robin, 1954; Roche et Robin. 1954 ; Thoai et Roche, 1957; Roche. Robin, Thoai et Pradel, 1960; Robin et Thoai. 1962); ils ont montré "qu'aucun phosphagène ne caractérise une classe ou une famille définie d'animaux» (Thoai et Roche, 1957).


Un autre point élucidé au cours de ces dix dernières années (Thoai et Roche, 1964) est le rapport entre les phosphagènes et les guanidines libres dans les tissus d'un même animal.


La base guanidique correspondant au phosphagène est, bien entendu, toujours présente, mais d’autres composés guanidiques qui ne participent pas à la formation du phosphagène peuvent exister en grandes quantités chez un même animal.


Tel est le cas de l'octopine chez les Céphalopodes (Thoai, Roche et Robin. 1955 ; Thoai et Robin, 1959), de l'arcaïne chez Arca noae (Roche, Robin, Thoai et Pradel. 1960), de la taurocyamine chez des Porifères (Roche et Robin. 1954 ; Robin et Roche, 1954).


D'autre part, il est presque de règle que si un seul dérivé guanidique est présent dans le muscle on le retrouve comme constituant du phosphagène musculaire.


Un autre cas intéressant est celui de la créatine et de la phosphocréatine chez des animaux comme Arenicola marina L., Leptosynapta inhaerens Muller, Martasterias glacialis L. (Roche, Thoai et Robin. 1957), Diadema setosum (Yanagisawa, 1959), où ces corps sont présents seulement dans les spermatozoïdes et non dans les autres cellules ou tissus de l'organisme.


L'étude d'un phosphagène ne devrait jamais être séparée de celle des dérivés guanidiques présents dans les animaux d'où le phosphagène a été isolé; elle devrait toujours être complétée par celle de la phosphotransférase correspondante.


Les deux premiers enzymes de ce groupe, la créatine kinase (EC.2.7.3.2) et l'arginine kinase (EC.2.7.3.3) ont été mises en évidence il y a trente ans par Lohmann (1954, 1955).


En 1957, Thoai a décrit la taurocyamine kinase et la glycocyamine kinase (EC.2.7.3.1) ; en 1960, Rosenberg et collaborateurs la lombricine kinase, et en 1962 Thoai, Robin et Pradel l'hypotaurocyamine kinase (1965).


Aussi est-ce en tenant compte de cet ensemble de points de vue que nous avons entrepris l'étude du phosphagène et de l'ATP : guanidine phosphotransférase d'Ophelia neglecta quand, il y a deux ans, nous avons remarqué la présence d'un dérivé guanidique nouveau dans cette espèce.


Pour la même raison, nous avons étendu nos recherches à un autre représentant de la famille des Ophelidae.



OBJET DU TRAVAIL


Les recherches qui font l'objet du présent travail ont porté d'abord sur l'analyse chromatographique des guanidines monosubstituées de deux espèces de Polychètes sédentaires appartenant au genre Ophelia, O. neglecta Schneider et O. bicornis Savigny.


Les dérivés guanidiques musculaires, qui entrent dans la constitution des phosphagènes, ont été ensuite isolés, cristallisés et analysés.


Nous avons montré que les bases guanidiques musculaires, et donc les phosphagènes correspondants de deux espèces animales voisines, sont différents.


Chez O. bicornis elle est constituée par la lombricine, qui n'a été rencontrée jusqu'à présent que chez les Oligochètes.


Chez O. neglacta, la base guanidique est un nouveau dérivé monosubstitué, qui a été identifié et dont la structure a été confirmée par synthèse. Ce corps a été appelé ophéline.


Le phosphagène correspondant, la phosphoophéline, a été également isolé et identifié. Le produit de phosphorylation chimique de l'ophéline que nous avons préparé peut servir de donateur de phosphate en présence d'ADP et d'une phosphotransférase extraite d’O. neglecta.


Le nouvel enzyme, appelé ATP : ophéline phospho-transférase, qui catalyse la réaction réversible



a été préparé et ses propriétés examinées.


L'ensemble des faits rapportés dans le présent travail contribue en premier lieu à la connaissance de nouveaux types de bases guanidiques et de phosphagènes.


En mettant en évidence le degré de spécificité de la nouvelle ATP : guanidophosphotransférase et l'analogie de certaines de ses propriétés avec celles des enzymes du même type, cette étude permet également des rapprochements utiles du point de vue de la biochimie comparée.



RESUME


1°- un nouveau dérivé guanidique a été isolé du muscle d'Ophelia neglecta Schneider, purifié sur colonne de résine échangeuse d'ions et obtenu à l'état cristallisé. Le corps auquel on a donné le nom d’ophéline a pour composition élémentaire :


C= 24,4% ; H= 6,1% ; N= 21,3% ; P= 15,7%. Point de fusion : 272°C.


2°- L’ophéline est une guanidine monosubstituée répondant à la formule du diester guanidoéthyl-méthyl-phosphorique :



Sa constitution a été établie par identification des produits de son hydrolyse et par comparaison du produit naturel isolé avec le même composé préparé par synthèse chimique (même point de fusion, même comportement chromatographique, mêmes produits d'hydrolyse).


3°- Toutes les bases guanidiques présentes chez .O. neglecta ont été dosées dans trois types différents de tissus.


4°- Le phosphagène d'O. neglecta, l'acide N'-phosphoryl-guanido-éthyl-méthyl-phosphorique, est lui aussi un corps inconnu jusqu'à présent.


Le produit naturel a été isolé, ses produits d'hydrolyse identifiés et dosés. La structure en a été confirmée par synthèse et par comparaison des deux corps du point de vue des propriétés chimiques et de leurs comportements enzymatiques.


La présence d'un tautomère instable a été discutée.


5°- Nous avons trouvé dans le muscle d'O. neglecta une activité enzymatique spécifique catalysant le transfert d'un radical phosphoryl de l'ATP à l'ophéline ou de la phosphophéline à l'ADP selon la réaction réversible :



Nous avons extrait et purifié cet enzyme que nous avons appelé ATP : ophéline phosphotransférase.


Les valeurs optima de pH et de température sont respectivement 8,5 et 30°C pour la réaction directe (1) et 6,8 et 35°C pour la réaction inverse (2).


Pour la réaction directe, Vmax. = 31,6 mmoles par ml, par min. et par mg de protéine enzymatique, Km = 3 mM dans le cas de l'ATP et 5,8 mM dans le cas de l'ophéline.


Pour la réaction inverse, Vmax = 19,6 mmoles par ml, par min. et par mg, Km = 0 ,5 mM dans le cas de l'ADP et 1,1 mM dans le cas de la phosphophéline.


6°- L'ATP : ophéline phosphotransférase est assez stable à 0°C.

Elle est activée par Mg++, inhibée par le p-chloromercuribenzoate, la chloroacétophénone, la N-éthylmaléimide, le monoiodoacétate et l'hydroxylamine.


Elle est inactive sur la créatine, l'arginine, la glycocyamine et les phosphagènes correspondants; mais elle est active sur la lombricine, la taurocyamine et la phosphotaurocyamine.


7°- Ni le nouveau phosphagène, ni la nouvelle base guanidique ne sont présents dans une autre espèce du même genre Ophelia examinée, l'O. bicornis Savigny.

Chez celle-ci, une seule base guanidique musculaire est présente, la lombricine, qui n'a été trouvée jusqu'à présent que chez des Oligochètes, où elle entre dans la constitution du phosphagène musculaire.


8°- La nouvelle méthode d'isolement de la lombricine constitue une amélioration appréciable sur les techniques précédemment utilisées pour l'obtention de cette base à partir des Oligochètes.


La lombricine isolée à partir d'O. bicornis a été cristallisée et identifiée et les bases guanidiques présentes chez ce polychète ont été dosées dans trois types différents de tissus.


9)- Du point de vue de la biochimie de l'évolution, il est remarquable que deux espèces d'un même genre, Ophelia, possèdent deux guanidines musculaires différentes ; ophéline pour O. neglecta et lombricine pour O. bicornis, celle-ci étant considérée jusqu'à présent comme constituant caractéristique du phosphagène des Oligochètes.


Le fait mérite d’autant plus d'être souligné qu'une autre espèce de la même famille d'Ophélidés, Travisia forbesii, possède dans le muscle deux types de phosphagènes différents : phosphocréatine et phosphoarginine, dont la coexistence est considérée jusqu'ici comme caractéristique des groupes zoologiques de transition (échinodermes).






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