Kia-wo Hou : Action des ferments de la graine de soja
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Thèse présentée à la faculté des sciences de l’Université de Paris
pour obtenir le titre de Docteur de l’Université

par



Kia-wo Hou

CONTRIBUTION A L'ETUDE DE L’ACTION DES FERMENTS DE LA GRAINE DE SOJA SUR LES LIPIDES



soutenue en novembre 1933

devant la commission d’examen :

Gabriel Bertrand, président
E. P. Potier, R. Combes, examinateurs




INTRODUCTION


A l'heure où mon pays traverse de cruelles épreuves, une grande tristesse vient atténuer la joie que je pourrais avoir en présentant ce modeste travail au monde scientifique.


Je revois en premier lieu, les années où j'étudiais dans une école communale de la ville de Kirin (Mandchourie) aujourd'hui sous le joug de l'envahisseur. Je sais tout ce que je dois aux maîtres de mes jeunes années qui portent les noms de Yeu et Tchi, puisque ce sont eux qui m'ont enseigné l'Amour de la Patrie et la Religion du Travail. C'est aussi grâce à leur initiative que tout enfant, je formais le vœu d'acquérir, plus tard, les connaissances d'un docteur occidental.


Voilà bientôt vingt ans écoulés depuis cette époque et je voudrais tant leur dire que j'ai fait ce qu'ils m'ont conseillé de faire, mais hélas ! ils vivent sous la domination de l'étranger.


C'est au lendemain des premières menaces étrangères qu'un groupe de jeunes Chinois décida de venir étudier en Europe sous le patronage de la «Société Franco-Chinoise d'Education» afin d'acquérir des connaissances nouvelles qui pourraient nous permettre de mieux assurer la défense de notre pays. Rendons un juste hommage aux fondateurs de cette Société qui s'appellent Tsai Yuen-Pei, Li Yu-Ying, Painlevé et Herriot.


Arrivé en France vers l'âge de seize ans, j'ai pu apprécier la bonne hospitalité française. Je tiens à témoigner ici toute ma gratitude à M. et Mme Manteau, instituteurs honoraires qui m'ont appris la langue et la pensée française.


Je témoigne ici également ma reconnaissance envers M. Péquinat, principal du collège de Dieppe, qui m'a toujours encouragé dans mes efforts.


Je remercie ici les conseils et aides précieux, que le Recteur Lirondelle a bien voulu me prodiguer lorsqu'il était professeur à l’Université de Lille.


Je m'incline devant la mémoire du regretté Doyen Lefebvre et le remercie pour les leçons philosophiques que j'ai reçu de lui. Ce sont elles qui m'ont décidé à entreprendre des études scientifiques.


Je dois mes études de licence au Doyen Maige, aux Professeurs Barrois, Malaquin, Paillot, Pruvost et à MM. de Litardière, Quinet, Rousseau et plus particulièrement de mes études de chimie aux Professeurs Pélabon, Fosse, Pariselle et à MM. François et Hieulle de la Faculté des Sciences de Lille.


Lors de mon retour en Chine, il y a 4 ans, c'est grâce aux recommandations du Doyen Maige et des Professeurs Pélabon, Pariselle et Fosse que j'ai pu trouver un bon accueil auprès des Présidents Li Yu-Ying et Li Shou-Houa et obtenir une bourse de l'Académie Nationale de Peiping qui venait d'être fondée à cette époque.


De retour de Chine, j'ai pu faire mon apprentissage en vue des recherches scientifiques dans les laboratoires du Muséum National d'Histoire Naturelle et de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes sous la direction de mes maîtres Richard Fosse et Emile André. Je tiens à leur rendre ici un hommage respectueux reconnaissant et les assurer de tout mon dévouement.


Je remercie MM. Rutgers et Brunel pour l'enseignement de la Microanalyse organique quantitative qu'ils ont bien voulu me donner.


Mes remerciements vont aussi à l'adresse de M. Hasenfratz, sous-directeur de laboratoire de Chimie du Muséum pour les conseils précieux que j'ai reçus de lui.


Le présent travail a pour point de départ, une étude sur les transformations que subissent les lipides de la graine de soja dans la fabrication du lait et du fromage de soja. Cette étude a été faite sous la direction de M. Emile André. Elle a. fait l'objet de deux Notes communiquées à l'Académie des Sciences :


1° Sur la présence d'une oxydase des lipides ou «lipoxydase» dans la graine de Glycine soja (C. R. 1932, t. 194, p. 645).


2° Sur les lipoxydases des graines de Glycine soja et de Phaseolus vulgaris (C. R. 1932. t. 195, p. 172).


Dans ces deux Notes, nous avons, mon maître et moi. 1° attribué la cause de transformation de l'huile extraite du résidu de fabrication du lait de soja en une huile oxydée, à l'existence d'un ferment oxydant des lipides et 2° montré que l'action de ce nouveau ferment est indépendante de celle des peroxydases existant dans la- graine de soja.


Depuis, M. Emile André a bien voulu me confier la tâche de poursuivre cette étude tout en continuant à me prodiguer de ses conseils éclairés. J'ai pu ainsi mener à bonne fin le présent travail. Je tiens à lui en exprimer toute ma reconnaissance.


J'ai commencé par l'étude des transformations d'ordre chimique qu'a subies l'huile de soja oxydée par ce ferment. J'ai entrepris ensuite une série d'essais pour obtenir ce ferment sous une forme maniable en vue d'étudier son action sur diverses huiles animales et végétales.


M le Professeur Gabriel Bertrand m'a très heureusement suggéré d'entreprendre à la fin de ce travail, quelques expériences gazo-volumétriques dont les résultats confirment le caractère d’oxydase véritable du ferment lipoxydant de la graine de soja. Je tiens à lui exprimer mes sincères remerciements pour ses précieux conseils et pour l'honneur qu'il m'a fait en acceptant de présider le jury devant lequel je présente ce travail, modeste apport à un chapitre de la science biologique à la naissance et au développement duquel, il a tant et si brillamment contribué.




CONCLUSION


A la suite de l'étude sur les transformations que subissent les lipides de la graine de soja dans la fabrication du lait et du fromage de soja, nous avons pu établir :


1° Que dans la préparation du lait et du fromage de soja, l'huile retirée du fromage reste semblable à celle des graines, tandis que celle du résidu de fabrication présente tous les caractères d'une huile qui aurait été oxydée à chaud par l'insufflation d'air (l'huile soufflée ou épaissie) dont les caractères sont les suivants : l'élévation de la densité, des indices d'acétyle et de saponification accompagnée de l'abaissement de l'indice d'iode.


2° Que la cause de cette oxydation est due à une action fermentaire sous l'influence d'une oxydase insoupçonnée jusqu'à ce jour, et que nous nommons «lipoxydases».


3° Qu'aucun ferment contenu dans la graine de soja n'est capable d'oxyder directement à l'air les réactifs tels que la teinture de gaïac et l'eau gaïacolée, mais que, cependant, il s'y trouve une oxydase agissant directement sur l'huile.


4° Que les graines de Dolichos lablab qui se comportent vis-à-vis des réactifs des peroxydases d'une façon identique à celles de soja, ont une action à peine prononcée vis-à-vis de l'huile de soja, et que les graines de Phaseolus vulgaris, bien qu'elles ne colorent que faiblement les réactifs des peroxydases, oxydent cependant nettement l'huile de soja. Par suite, l'action des lipoxydases est indépendante de celle des peroxydases.


Au cours de nos recherches personnelles faites spécialement . sur la lipoxydase de soja, nous avons pu constater ;


1° Que l'action de la lipoxydase de soja se traduit par la disparition d’une quantité de lipides initiaux (19 % tombe à 16 %), et par l'oxydation de la partie restante.


2° Que le trempage préalable des graines de soja provoque à lui seul en 12 à 14 heures, un abaissement important de leur teneur en lipides, qui tombe cette fois-ci de 19 % à 11 %.


3° Que l'activité de la lipoxydase de soja est rapidement affaiblie sous l'action d'une température comprise entre 60° et 80°.


4° Que la lipoxydase de soja est un ferment soluble ; elle est entraînée dans le lait de soja, mais elle n'est que très faiblement entraînée dans le précipité qui se forme au sein du lait de soja sous l'action de l'alcool et de l'éther.


5° Qu’il existe dans l’huile de soja normale extraite à partir des graines une très faible quantité d’acides antraînables (0,01%) composés vraisemblablement d’acides acétiques et aldopropionique, et qu’il existe également une faible quantité d’acides-alcools (1,5%). La présence de ces acides n’avait jamais été envisagée.


6° Que la lipoxydase de soja oxyde l’huile de soja en augmentant la proportion de ces acides aux dépens des acides gras non saturés. L’huile qui a subi son action contient treize fois plus d’acides entraînables et sept fois plus d’acides-alcools. Cette action paraît être étroitement liée au métabolisme des lipides dans la graine de soja.


7° Que la lipoxydase de soja oxyde de préférence les glycérides linoléiques vis-à-vis desquels elle semble posséder une action spécifique ; c’est ainsi que l’huile de lin, plus siccative, mais moins riche en linoléides, se trouve moins oxydée que l’huile d’oeillette, moins siccative mais plus riche en glycérides linoléiques.


8° Que la lipoxydase de soja n'oxyde pas les carbures non saturés, tels que le squalène, malgré leur fort indice d’iode.


9° Que les lipoxydases sont des oxydases vraies, c'est-à-dire des catalyseurs biochimiques provoquant à la température ordinaire des oxydations par fixation de l'oxygène de l’air.


Toloméi avait observé, en 1896, la présence dans la chair de l'olive d'une oxydase qu'il a appelée «oléase», dont il a dit qu'elle décompose l'huile d'olive en CO2, acide oléique, acide acétique, acide sébacique et d'autres acides gras de plus grand poids moléculaire. Mais les phénomènes qui se produisent dans la pulpe d'olive en fermentation sont extraordinairement complexes : les matières sucrées du suc d'olive subissent en effet la fermentation alcoolique, les matières albuminoïdes subissent des fermentations putrides.


L'auteur n'a formulé au sujet des trans-formations subies par les lipides au milieu de cette décomposition générale que des hypothèses dont aucune expérience positive n'a apporté la confirmation.


Maquenne avait montré, en 1898, en étudiant comparativement la diminution des lipides et l'enrichissement en glucides des graines d'arachide et des graines de ricin en germination que les glycérides de l'acide ricinoléique disparaissent avec une rapidité beaucoup plus grande que ceux des acides gras ordinaires et que leur disparition s'accompagne d'une augmentation importante de la teneur en glucides.


Il résulte de ces observations que le passage des lipides aux glucides semble avoir pour terme intermédiaire la formation de glycérides d'acides-alcools.


En établissant que la lipoxydase de soja donne naissance à des acides-alcools formés aux dépens des acides non saturés (linoléiques), nous apportons un fait nouveau qui confirme les anciennes données expérimentales de Maquenne.


Mazé, en 1900, avait supposé l'existence dans les graines oléagineuses en germination d'une «diastase oxydante» qui serait «capable de transformer un groupement carbure CH2 en groupement alcoolique CHOH par fixation d'oxygène».


Nos expériences montrent, au contraire, que c'est aux dépens des liaisons éthyléniques — CH = CH — des glycérides que les fonctions alcools prennent naissance.


Au reste jamais aucune expérience, ni en chimie pure, ni en chimie biologique, n'a permis de passer directement du groupement carbure — CH2 — au groupement alcool — CHOH —.


Plus récemment, en 1920, au cours d'une revue sur l'état actuel de nos connaissances «sur l'utilisation des graisses au cours de la germination des graines», Terroine hésite entre deux hypothèses émises au sujet du phénomène de l'abaissement de l'indice d'iode des lipides au cours de la germination. Ces deux hypothèses sont :


a) «Consommation des glycérides les moins saturés en premier lieu» [Iwanow, Sani, Schmidt].


b) «Oxydation faisant apparaître des groupements oxhydryles à la place des liaisons doubles» [Fleury, Muntz, Bonnier et Mangin, Godiewski].


Terroine émet également des doutes sur la formation des hydroxyacides [Von Furth, Miller, Leclerc de Sablon] et des acides gras à chaîne plus courte [Miller, Jegorow, Von Furth] au cours de l'évolution des lipides des graines oléagineuses lors de leur germination.


L'étude de la lipoxydase de soja nous a permis de mettre en lumière un certain nombre de faits qui apportent une base expérimentale nouvelle à diverses hypothèses anciennement émises au sujet d'observations isolées concernant l'évolution des graisses lors de la germination des graines oléagineuses.


Nous espérons que d'autres recherches pourront être faites utilement dans le même sens et qu'elles permettront de jeter des lumières nouvelles sur la question encore si obscure du métabolisme des lipides chez les végétaux.






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