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Mémoire, 1965
Recherches cristallographiques en
vitamines K
de
Longtemps les cristallographes
n'ont été que des créateurs de modules, proposant au chimiste un matériel dense et
précieux bien adapté à la vérification de certaines hypothèses de chimie
théorique ou au contrôle des structures moléculaires probables de la chimie
expérimentale.
Ce rôle de
« structurographe" limité à l'étude des configurations moléculaires
c'est à dire à la discussion de longueurs de liaisons et d'angles de
valence définit notre discipline comme une branche auxiliaire de la chimie.
En chimie-physique, bien que
moins important, l'apport de la cristallographie a été notable. Nous citerons, entre
autres exemples, la contribution apportée à la connaissance de la liaison
covalente, de la liaison hydrogène, des complexes organo-métalliques etc...
et d'une façon très générale à l'étude des relations propriétés
physiques-structure.
Ce n'est que récemment que les
cristallographes se sont intéressés aux structures des molécules biologiques.
On sait avec quel succès ils ont étudié les molécules d'antibiotiques, les
vitamines A1, B12, les très grosses molécules comme l'hémoglobine, l’ADN,...
etc.
En ceci, ils tiennent auprès des
biochimistes le même rôle de structurographes qui les rend fort utiles aux
chimistes. Cependant ils ne s'étaient pas encore attaques aux problèmes de la
chimie biologique.
On peut objecter que les
réactions biochimiques n'interviennent qu'entre molécules activées et que
celles-ci sont très différentes des molécules dans le cristal.
Dans un état particulier tel
qu'elles sont capables de réaliser une réaction chimique "in vivo"
qu'elles ne peuvent réaliser "in vitro".
En fait le problème se pose sous
une forme très complexe, mais il parait abordable si l'on tient compte des
premières remarques suivantes :
- molécules de l'espace
cristallin, molécules en solution, molécules activées diffèrent en général très peu
par leur configuration stéréochimique : elles diffèrent surtout par leur
"structure" électronique,
- l'état électronique de la
molécule activée est fonction du récepteur sur lequel la molécule se fixe et du
solvant qui la baigne ;
- de la même façon dans l'état
cristallin la structure électronique de la molécule est fonction de la manière
dont elle se fixe au milieu des molécules qui l'entourent.
Or l'on sait que si l'on compare
les mêmes molécules dans divers états cristallins ou dans diverses combinaisons
cristallines, on peut mettre en évidence des éléments permanents dans les arrangements
moléculaires : ce sont les axes principaux d'interaction moléculaire dirigée. A
ces axes constants correspond sans aucun, doute une composante commune des
divers états électroniques.
On peut raisonnablement penser
que ceux-ci se retrouveront dans la molécule activée et pourront alors jouer
un rôle soit dans la fixation de cette molécule sur le récepteur, soit dans la
réaction biochimique qu'elle provoque.
Ainsi alors que la molécule
activée ne peut être atteinte directement, le cristallographe est capable
cependant d'en fournir des modèles; quoique incomplets, ceux-ci sont beaucoup
mieux adaptés que les simples modèles stéréochimiques aux exigences de la
biochimie : ils sont utiles en ce qu'ils pourront élargir les concepts
actuels et suggérer éventuellement une théorie satisfaisante des mécanismes
biochimiques.
Ce travail doit être considéré
comme un "essai".
Aussi nous ne saurions l'arrêter
sur un simple rappel des hypothèses et des observations structurales ; bien
que cela sorte du cadre de notre étude, nous suggérons une explication possible
de certains mécanismes d'action biochimiques.
En stéréochimie cristalline
1°) Le noyau quinonique non
subtitué
Nos observations nous amènent à
conclure dans un sens qui >n'est pas toujours en accord avec les prévisions de la
chimie théorique :
- la liaison C(2)=C(3) est plus
courte que la liaison éthylénique,
- les liaisons carbonyles sont
plus longues que celles fixées à une chaîne saturée,
- le noyau benzénique est peu
influencé par le noyau quinonique, l’enchaînement 0=C –C=C– C=0 ne l'est pas
davantage par le cycle benzénique.
2°) Le rôle des substituants en
position 2
- le groupenent méthyle apporte
peu de modifications au noyau quinonique et aux liaisons carbonyles ;
- le groupement méthyle perturbe
peu le noyau naphtalénique et les liaisons carboxyliques ;
- les atomes de brome et de
chlore perturbent grandement les liaisons du noyau et les liaisons
carbonyles : C(2)=C(3) s'allonge, C(l)=0(l) se raccourcit. Ceci pouvant s'expliquer par une
raisonnance dans le 1/2 cycle -C – Br
3°) Les liaisons hydrogène
- Aux hydroxyles, fixés en
position 3 ou en position 1,4 sont attachées des liaisons H dont les forces sont
sensiblement égales et correspondent à une distance O...O de 2,75 A environ.
- L'hydrogène du groupement
hydroxyle en position 3, participe simultanément à une liaison intra et une
liaison intermoléculaire.
- Dans la
méthyl-hydroxy-naphtoquinone l'oxygène O(l) du carbonyle voisin du méthyle ne
participe pas à la liaison hydrogène intermoléculaire qui se fixe par contre
sur le carbonyle en position 4 (liaison H bifide).
- Dans la
chloro-hydroxy-naphtoquinone c'est, au contraire, sur le carbonyle en
position 1 que se fixe la liaison hydrogène (liaison H bifide).
- Dans la
méthyl-naphtohydroquinone, les deux liaisons hydrogène sont identiques
mais un peu plus courtes que dans la naphto-hydroquinone, comme si le
groupement méthyle tendait à renforcer ces liaisons.
4°) La tautomérie
Nous avons analysé un cas de
"tautomérie cristalline" présenté par la chloro-hydroxy-naphtoquinone
(phénomène qui n'existe pas dans l'analogue méthylé) un cas probable de tautomérie
en solution
présenté par la méthyl-naphtohydroquinone.
A partir du modèle établi; nous
suggérons une hypothèse du mécanisme de la tautomérie à l'état cristallin ou en
solution, par transfert de l'hydrogène par les liaisons H.
Les assemblages moléculaires
1°) Nous avons montré que des liaisons dirigées de faible énergie
sont décelables dans les assemblages cristallins et nous avons cherché à les
classer.
- Les liaisons hydrogène sont
les plus typiques de ces liaisons dirigées; la
liaison H fait avec la liaison covalente C-O un angle toujours voisin de 120°,
avec le plan de la molécule un angle faible. Ces faits montrent que l'oxygène
du carboxyle, conjugué au noyau, a une constitution du type sp2.
- Par contre l'oxygène du
carbonyle, quand il reçoit une liaison H, est attaqué suivant un angle variable
; dans les exemples fournis par le phtiocol et la chloro-hydroxy-naphtoquinone, l'angle
C=O...(H)O est compris entre l60 et 170°.
- Les liaisons par transfert de
charge ne se rencontrent ici que dans la bromo-naphtoquinone : la liaison
est nettement orientée (C-Br...O = 170°), ce qui ressort de l'observation des
liaisons du même type présentes dans les structures d'autres composés cycliques.
- Les liaisons de stacking sont
présentes dans toutes les structures des composés naphtoquinoniques et jouent
un rôle essentiel dans la cohésion et l'organisation de l'assemblage cristallin.
Comparées aux liaisons et aux liaisons
entre deux lits de carbone dans la structure du graphite, elles apparaissent comme très
directionnelles.
- Des liaisons CH....O et
CH....Cl ont été rapprochées par J. Sutor des liaisons hydrogène ; bien que
moins fortes elles seraient loin d'être négligeables.
Les liaisons CH....O sont les
seules que l'on puisse invoquer pour expliquer entièrement la structure de la naphtoquinone
; elles existent
probablement aussi dans la bromo-naphtoquinone où elles affectent le même groupe
HC(3) et dans la méthyl-naphtohydroquinone. La liaison CH....Cl est présente
dans la chloro-hydroxy-naphtoquinone.
Ces liaisons sont moins
directionnelles que les liaisons hydrogène classiques, toutefois l'angle
CH....X est toujours supérieur à 150°.
2°) Toutes les structures
examinées ici sont caractérisées par une compacité élevée (au sens de
Kitaigorodskij); elles obéissent au principe de « close-packing »
: l'existence de liaisons intermoléculaires dirigées ne s'oppose pas à la
condition d'assemblage moléculaire compact, mais conduit à des assemblages qui
ne sont pas toujours les plus compacts possibles.
En pharmacodynamie
Les idées générales, qui ont
présidé à nos recherches, ne peuvent être admises sans discussions. Aussi, nous
appuyant sur le problème particulier de l'action vitamine K, nous avons du
justifier l'aptitude de la cristallographie à pénétrer les mécanismes biochimiques. Cela a nécessité
la résolution d'un problème fondamental de cristallographie ; >mettre en évidence
et classer les liaisons de faible énergie dans les cristaux moléculaires, déceler, parmi
celles-ci, les axes principaux d'interaction.
Dans l'hypothèse où les liaisons
décelées par analyse cristallographique peuvent être celles des molécules
activées, nous avons proposé une définition plus générale de l'analogie structurale.
Ceci étant, notre étude a été
entreprise dans le but précis d'apporter aux biochimistes qui s'intéressent aux
vitamines et antivitamines K des modèles moléculaires vraisemblables et complets
susceptibles de leur suggérer une explication du mécanisme de l'action de ces
composés.
Il est trop tôt pour tirer des
conclusions générales dans la série choisie; ceci ne pourra se faire que
lorsque l'exploration structurale couvrira un nombre important de molécules
actives. Cependant nous attirons l'attention sur plusieurs points.
1°) L'hypothèse a été avancée que
l'activité AVK pouvait être liée à l'existence d'une tautomérie
céto-énolique.
Nous avons constaté que la
chloro-hydroxy-naphtoquinone (AVK) présente une tautomérie cristalline qui
ne se manifeste pas dans la méthyl-hydroxy-naphtoquinone (VK).
Cependant si tautomérie dans le
cristal ne veut pas forcément dire tautomérie en solution, c'est une indication
favorable.
2°) La méthyl-naphtohydroquinone
agit comme une vitamine.
Cependant dans le cristal elle
est et ne peut être que diphénol. La contradiction avec l'hypothèse précédente
n'est qu'apparente : si la tautomérie céto-énolique est absente dans le cristal, elle ne
l'est pas forcément en solution.
Pour la
méthyl-naphtohydroquinone, l'équilibre en présence d'eau serait un
équilibre de céto-énolisation fortement déplacé vers la forme
cétonique (ménadiènne).
Pour le dérivé chloré, il serait
déplacé vers la forme énolique : on crée une antivitamine.
3°) Les molécules d'antagonistes
(phtiocol et chloro-hydroxy-naphtoquinone) sont chélatées, mais si elles
présentent toutes deux une liaison H intermoléculaire, celle-ci n'intéresse pas le même
carbonyle.
La substitution du chlore au
méthyle en rendant possible l'énolisation change les propriétés de l'oxygène
O(l) qui devient disponible pour une liaison hydrogène.
4°).La substitution du chlore au
méthyle en position 2 entraîne de notables perturbations dans le noyau quinonique et dans
le noyau
benzénique.
5°) L'hypothèse a été avancée que
les antagonistes devaient avoir une "zone moleculaire" commune ; pour les
vitamines et antivitamines K, ce pourrait être le squelette naphtoquinonique.
A notre sens la notion de
squelettes semblables est moins importante que celle d'interactions
moléculaires communes : nous introduisons la notion d'axes principaux d'interactions
moléculaires.
Nous avons déjà fait mention des
relations entre l'activité et l'équilibre des liaisons hydrogène. Il ne semble pas qu'il
y ait, dans les
plans moléculaires, d'autres axes d'interactions dont la comparaison soit
intéressante pour opposer vitamines et antivitamines K.
Par contre les axes de stacking,
normaux aux plans moléculaires, offrent une relation qui parait intéressante : les quatre
antivitamines que nous avons étudiées (bromo-2, bromo-2 amino-3, chloro-2
hydroxy-3, chloro-2 anino-3 naphtoquinone), le phtiocol seule vitamine K dont
nous connaissions la structure présentent les types de superpositions ci-après
:
entre ces deux types existe un
point commun ; la distance inter-plan et la direction du décalage, un point
d'opposition : l'amplitude du décalage des vitamines K est double de celui des
antivitamines.
On sait l'importance du récepteur
(dont en général on ne connaît pas la structure) dans les mécanismes biochimiques. Les
vitamines et antivitamines se fixeraient de façon analogue sur le récepteur et
il est possible que l’activité AVK apparaisse lorsque la fixation est .du type
I, l'activité VK lorsqu'elle est du type II.
Ce caractère ne déterminerait pas
à lui seul l'activité : la naphtobydroquinone présente en effet un type de
superposition très proche de celui du phtiocol et n'est cependant pas une
vitamine. Pour qu'une molécule ait une activité, il faudrait qu'à la fixation type
« épitaxique" de la molécule sur sa "réplique" dans le
récepteur, par l'intermédiaire des liaisons de stacking, s'ajoute une
condition chimique : céto-énolisation par exemple.
Ces conclusions sur les relations
entre activité K et structures sont des exemples de propositions nées
d'observations >structurales. Elles seront certainement discutées.
Cependant les modèles
moléculaires complets que nous apportons sont un matériau nouveau auquel
devraient se référer les pharmacodynamiciens à la recherche d'une explication
des mécanismes d'action biochimiques.
MOTS CLEF :
action / activité / angle / antivitamine / assemblage /
biochimie / carbonyle / chimie / composé / cristallin / électronique / énolique / énolisation /
équilibre / groupement / hydrogène / hydroxyle / hypothèse / interaction / intermoléculaire /
liaison / mécanisme / méthyle / modèle / moleculaire / molécule / naphtoquinone / noyau /
phtiocol / position / quinonique / récepteur / structure / tautomérie / vitamine K
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