Gaultier : Vitamine K
Site créé le 24 octobre 2004 Modifié le 02 mars 2006

Documents disponibles au laboratoire de chimie du Muséum National d’Histoire Naturelle,

63 rue Buffon 75005 Paris

Plus d'information! Page de couverture


Mémoire, 1965


Recherches cristallographiques en vitamines K

 

de

 

Jacques Gaultier

 

AVANT – PROPOS

Longtemps les cristallographes n'ont été que des créateurs de modules, proposant au chimiste un matériel dense et précieux bien adapté à la vérification de certaines hypothèses de chimie théorique ou au contrôle des structures moléculaires probables de la chimie expérimentale.

 

Ce rôle de « structurographe" limité à l'étude des configurations moléculaires c'est à dire à la discussion de longueurs de liaisons et d'angles de valence définit notre discipline comme une branche auxiliaire de la chimie.

 

En chimie-physique, bien que moins important, l'apport de la cristallographie a été notable. Nous citerons, entre autres exemples, la contribution apportée à la connaissance de la liaison covalente, de la liaison hydrogène, des complexes organo-métalliques etc... et d'une façon très générale à l'étude des relations propriétés physiques-structure.

 

Ce n'est que récemment que les cristallographes se sont intéressés aux structures des molécules biologiques. On sait avec quel succès ils ont étudié les molécules d'antibiotiques, les vitamines A1, B12, les très grosses molécules comme l'hémoglobine, l’ADN,... etc.

 

En ceci, ils tiennent auprès des biochimistes le même rôle de structurographes qui les rend fort utiles aux chimistes. Cependant ils ne s'étaient pas encore attaques aux problèmes de la chimie biologique.

 

On peut objecter que les réactions biochimiques n'interviennent qu'entre molécules activées et que celles-ci sont très différentes des molécules dans le cristal.

 

Dans un état particulier tel qu'elles sont capables de réaliser une réaction chimique "in vivo" qu'elles ne peuvent réaliser "in vitro".

 

En fait le problème se pose sous une forme très complexe, mais il parait abordable si l'on tient compte des premières remarques suivantes :

 

- molécules de l'espace cristallin, molécules en solution, molécules activées diffèrent en général très peu par leur configuration stéréochimique : elles diffèrent surtout par leur "structure" électronique,

 

- l'état électronique de la molécule activée est fonction du récepteur sur lequel la molécule se fixe et du solvant qui la baigne ;

 

- de la même façon dans l'état cristallin la structure électronique de la molécule est fonction de la manière dont elle se fixe au milieu des molécules qui l'entourent.

 

Or l'on sait que si l'on compare les mêmes molécules dans divers états cristallins ou dans diverses combinaisons cristallines, on peut mettre en évidence des éléments permanents dans les arrangements moléculaires : ce sont les axes principaux d'interaction moléculaire dirigée. A ces axes constants correspond sans aucun, doute une composante commune des divers états électroniques.

 

On peut raisonnablement penser que ceux-ci se retrouveront dans la molécule activée et pourront alors jouer un rôle soit dans la fixation de cette molécule sur le récepteur, soit dans la réaction biochimique qu'elle provoque.

 

Ainsi alors que la molécule activée ne peut être atteinte directement, le cristallographe est capable cependant d'en fournir des modèles; quoique incomplets, ceux-ci sont beaucoup mieux adaptés que les simples modèles stéréochimiques aux exigences de la biochimie : ils sont utiles en ce qu'ils pourront élargir les concepts actuels et suggérer éventuellement une théorie satisfaisante des mécanismes biochimiques.

 

CONCLUSIONS GENERALES

Ce travail doit être considéré comme un "essai".

 

Aussi nous ne saurions l'arrêter sur un simple rappel des hypothèses et des observations structurales ; bien que cela sorte du cadre de notre étude, nous suggérons une explication possible de certains mécanismes d'action biochimiques.

 

En stéréochimie cristalline

1°) Le noyau quinonique non subtitué

Nos observations nous amènent à conclure dans un sens qui >n'est pas toujours en accord avec les prévisions de la chimie théorique :

- la liaison C(2)=C(3) est plus courte que la liaison éthylénique,

- les liaisons carbonyles sont plus longues que celles fixées à une chaîne saturée,

- le noyau benzénique est peu influencé par le noyau quinonique, l’enchaînement 0=C –C=C– C=0 ne l'est pas davantage par le cycle benzénique.

 

2°) Le rôle des substituants en position 2

- le groupenent méthyle apporte peu de modifications au noyau quinonique et aux liaisons carbonyles ;

- le groupement méthyle perturbe peu le noyau naphtalénique et les liaisons carboxyliques ;

- les atomes de brome et de chlore perturbent grandement les liaisons du noyau et les liaisons carbonyles : C(2)=C(3) s'allonge, C(l)=0(l) se raccourcit. Ceci pouvant s'expliquer par une raisonnance dans le 1/2 cycle -C – Br

 

3°) Les liaisons hydrogène

- Aux hydroxyles, fixés en position 3 ou en position 1,4 sont attachées des liaisons H dont les forces sont sensiblement égales et correspondent à une distance O...O de 2,75 A environ.

 

- L'hydrogène du groupement hydroxyle en position 3, participe simultanément à une liaison intra et une liaison intermoléculaire.

 

- Dans la méthyl-hydroxy-naphtoquinone l'oxygène O(l) du carbonyle voisin du méthyle ne participe pas à la liaison hydrogène intermoléculaire qui se fixe par contre sur le carbonyle en position 4 (liaison H bifide).

 

- Dans la chloro-hydroxy-naphtoquinone c'est, au contraire, sur le carbonyle en position 1 que se fixe la liaison hydrogène (liaison H bifide).

 

- Dans la méthyl-naphtohydroquinone, les deux liaisons hydrogène sont identiques mais un peu plus courtes que dans la naphto-hydroquinone, comme si le groupement méthyle tendait à renforcer ces liaisons.

 

4°) La tautomérie

Nous avons analysé un cas de "tautomérie cristalline" présenté par la chloro-hydroxy-naphtoquinone (phénomène qui n'existe pas dans l'analogue méthylé) un cas probable de tautomérie en solution présenté par la méthyl-naphtohydroquinone.

 

A partir du modèle établi; nous suggérons une hypothèse du mécanisme de la tautomérie à l'état cristallin ou en solution, par transfert de l'hydrogène par les liaisons H.

 

Les assemblages moléculaires

1°) Nous avons montré que des liaisons dirigées de faible énergie sont décelables dans les assemblages cristallins et nous avons cherché à les classer.

- Les liaisons hydrogène sont les plus typiques de ces liaisons dirigées; la liaison H fait avec la liaison covalente C-O un angle toujours voisin de 120°, avec le plan de la molécule un angle faible. Ces faits montrent que l'oxygène du carboxyle, conjugué au noyau, a une constitution du type sp2.

 

- Par contre l'oxygène du carbonyle, quand il reçoit une liaison H, est attaqué suivant un angle variable ; dans les exemples fournis par le phtiocol et la chloro-hydroxy-naphtoquinone, l'angle C=O...(H)O est compris entre l60 et 170°.

 

- Les liaisons par transfert de charge ne se rencontrent ici que dans la bromo-naphtoquinone : la liaison est nettement orientée (C-Br...O = 170°), ce qui ressort de l'observation des liaisons du même type présentes dans les structures d'autres composés cycliques.

 

- Les liaisons de stacking sont présentes dans toutes les structures des composés naphtoquinoniques et jouent un rôle essentiel dans la cohésion et l'organisation de l'assemblage cristallin.

 

Comparées aux liaisons et aux liaisons entre deux lits de carbone dans la structure du graphite, elles apparaissent comme très directionnelles.

 

- Des liaisons CH....O et CH....Cl ont été rapprochées par J. Sutor des liaisons hydrogène ; bien que moins fortes elles seraient loin d'être négligeables.

 

Les liaisons CH....O sont les seules que l'on puisse invoquer pour expliquer entièrement la structure de la naphtoquinone ; elles existent probablement aussi dans la bromo-naphtoquinone où elles affectent le même groupe HC(3) et dans la méthyl-naphtohydroquinone. La liaison CH....Cl est présente dans la chloro-hydroxy-naphtoquinone.

 

Ces liaisons sont moins directionnelles que les liaisons hydrogène classiques, toutefois l'angle CH....X est toujours supérieur à 150°.

 

2°) Toutes les structures examinées ici sont caractérisées par une compacité élevée (au sens de Kitaigorodskij); elles obéissent au principe de « close-packing » : l'existence de liaisons intermoléculaires dirigées ne s'oppose pas à la condition d'assemblage moléculaire compact, mais conduit à des assemblages qui ne sont pas toujours les plus compacts possibles.

 

En pharmacodynamie

Les idées générales, qui ont présidé à nos recherches, ne peuvent être admises sans discussions. Aussi, nous appuyant sur le problème particulier de l'action vitamine K, nous avons du justifier l'aptitude de la cristallographie à pénétrer les mécanismes biochimiques. Cela a nécessité la résolution d'un problème fondamental de cristallographie ; >mettre en évidence et classer les liaisons de faible énergie dans les cristaux moléculaires, déceler, parmi celles-ci, les axes principaux d'interaction.

 

Dans l'hypothèse où les liaisons décelées par analyse cristallographique peuvent être celles des molécules activées, nous avons proposé une définition plus générale de l'analogie structurale.

 

Ceci étant, notre étude a été entreprise dans le but précis d'apporter aux biochimistes qui s'intéressent aux vitamines et antivitamines K des modèles moléculaires vraisemblables et complets susceptibles de leur suggérer une explication du mécanisme de l'action de ces composés.

 

Il est trop tôt pour tirer des conclusions générales dans la série choisie; ceci ne pourra se faire que lorsque l'exploration structurale couvrira un nombre important de molécules actives. Cependant nous attirons l'attention sur plusieurs points.

 

1°) L'hypothèse a été avancée que l'activité AVK pouvait être liée à l'existence d'une tautomérie céto-énolique.

Nous avons constaté que la chloro-hydroxy-naphtoquinone (AVK) présente une tautomérie cristalline qui ne se manifeste pas dans la méthyl-hydroxy-naphtoquinone (VK).

Cependant si tautomérie dans le cristal ne veut pas forcément dire tautomérie en solution, c'est une indication favorable.

 

2°) La méthyl-naphtohydroquinone agit comme une vitamine.

Cependant dans le cristal elle est et ne peut être que diphénol. La contradiction avec l'hypothèse précédente n'est qu'apparente : si la tautomérie céto-énolique est absente dans le cristal, elle ne l'est pas forcément en solution.

Pour la méthyl-naphtohydroquinone, l'équilibre en présence d'eau serait un équilibre de céto-énolisation fortement déplacé vers la forme cétonique (ménadiènne).

Pour le dérivé chloré, il serait déplacé vers la forme énolique : on crée une antivitamine.

 

3°) Les molécules d'antagonistes (phtiocol et chloro-hydroxy-naphtoquinone) sont chélatées, mais si elles présentent toutes deux une liaison H intermoléculaire, celle-ci n'intéresse pas le même carbonyle.

La substitution du chlore au méthyle en rendant possible l'énolisation change les propriétés de l'oxygène O(l) qui devient disponible pour une liaison hydrogène.

 

4°).La substitution du chlore au méthyle en position 2 entraîne de notables perturbations dans le noyau quinonique et dans le noyau benzénique.

 

5°) L'hypothèse a été avancée que les antagonistes devaient avoir une "zone moleculaire" commune ; pour les vitamines et antivitamines K, ce pourrait être le squelette naphtoquinonique.

 

A notre sens la notion de squelettes semblables est moins importante que celle d'interactions moléculaires communes : nous introduisons la notion d'axes principaux d'interactions moléculaires.

 

Nous avons déjà fait mention des relations entre l'activité et l'équilibre des liaisons hydrogène. Il ne semble pas qu'il y ait, dans les plans moléculaires, d'autres axes d'interactions dont la comparaison soit intéressante pour opposer vitamines et antivitamines K.

 

Par contre les axes de stacking, normaux aux plans moléculaires, offrent une relation qui parait intéressante : les quatre antivitamines que nous avons étudiées (bromo-2, bromo-2 amino-3, chloro-2 hydroxy-3, chloro-2 anino-3 naphtoquinone), le phtiocol seule vitamine K dont nous connaissions la structure présentent les types de superpositions ci-après :

entre ces deux types existe un point commun ; la distance inter-plan et la direction du décalage, un point d'opposition : l'amplitude du décalage des vitamines K est double de celui des antivitamines.

 

On sait l'importance du récepteur (dont en général on ne connaît pas la structure) dans les mécanismes biochimiques. Les vitamines et antivitamines se fixeraient de façon analogue sur le récepteur et il est possible que l’activité AVK apparaisse lorsque la fixation est .du type I, l'activité VK lorsqu'elle est du type II.

 

Ce caractère ne déterminerait pas à lui seul l'activité : la naphtobydroquinone présente en effet un type de superposition très proche de celui du phtiocol et n'est cependant pas une vitamine. Pour qu'une molécule ait une activité, il faudrait qu'à la fixation type « épitaxique" de la molécule sur sa "réplique" dans le récepteur, par l'intermédiaire des liaisons de stacking, s'ajoute une condition chimique : céto-énolisation par exemple.

 

Ces conclusions sur les relations entre activité K et structures sont des exemples de propositions nées d'observations >structurales. Elles seront certainement discutées.

 

Cependant les modèles moléculaires complets que nous apportons sont un matériau nouveau auquel devraient se référer les pharmacodynamiciens à la recherche d'une explication des mécanismes d'action biochimiques.





MOTS CLEF : action / activité / angle / antivitamine / assemblage / biochimie / carbonyle / chimie / composé / cristallin / électronique / énolique / énolisation / équilibre / groupement / hydrogène / hydroxyle / hypothèse / interaction / intermoléculaire / liaison / mécanisme / méthyle / modèle / moleculaire / molécule / naphtoquinone / noyau / phtiocol / position / quinonique / récepteur / structure / tautomérie / vitamine K





visiteurs