Notice sur les titres et travaux scientifiques

 

de

 

Robert H. Dodd.

Directeur de recherche 2e classe au CNRS

 

Introduction

 

Après mes études universitaires en chimie à l'Université McGill à Montréal j'ai entrepris en 1974 mes travaux de thèse (Ph.D.) à l'Université de Colombie Britannique à Vancouver au Laboratoire du Professeur A. Rosenthal. Ce laboratoire avait comme thème 1’étude de nouvelles méthodes de synthèse de sucres ramifiés, en particulier de monosaccharides et éventuellement de nucléosides possédant un groupement acide aminé lié au sucre par une liaison carbone-carbone. Ces molécules, analogues de produits naturels tels la puromycme et les polyoxines, connus pour leurs propriétés antivirales et antitumorales possédaient donc un intérêt thérapeutique. Parmi les nucléosides modifiés que j'ai synthétisés quelques-uns ont été choisis par le National Cancer Instituts (USA) en vue d'étudier leurs propriétés anti-cancéreuses. Des résultats positifs contre la leucémie L-1210 (in vivo) ont été obtenus avec les uridines-6-substituées.

 

J'ai ensuite effectué un stage d'enseignement de quelques mois à l'Université de Genève (Service du Professeur Tronchet, Département de Pharmacie, 1980) avant d'arriver à l’Institut de Chimie des Substances Naturelles (CNRS, Gif-sur-Yvette) sur un poste rouge en 1981. Mon Directeur de Recherche. M. Pierre POTIER, m'a alors proposé d'étudier les interactions de b-carbolines avec le récepteur des benzodiazépines. En effet, cette année-là avait vu la découverte par Braestrup de l'ester éthylique de l'acide b-carboline-3-carboxylique (la b-CCE) dans l'urine humaine et la démonstration de la haute affinité de cette molécule pour les récepteurs des benzodiazépines, eux-mêmes récemment mis en évidence (1978)

 

Une telle étude était bien adaptée à notre laboratoire puisque sur le campus de Gif au Laboratoire de Physiologie Nerveuse (équipes de J. Rossier et R. Naquet), nous disposions d’un modèle animal naturel de l'épilepsie, le Babouin Papio Papio, ainsi qu'une batterie de tests permettant d'évaluer les activités pharmacologiques (effets anxiolytiques, hypnotiques mnesiques...) de molécules in vivo (chez le Rat, la Souris, le Chat).

 

En outre, ce projet me semblait particulièrement séduisant puisqu'il me permettait non seulement de concevoir et de synthétiser de nouveaux produits d'intérêt biologique mais également, me donnait accès à une interaction directe avec les biochimistes et les pharmacologues du Laboratoire de Physiologie Nerveuse. J'ai pu apprendre, par exemple, à déterminer moi-même les affinités , in vitro de mes produits de synthèse pour le récepteur des benzodiazépines. J'ai aussi participé activement à tous les essais in vivo.

 

M. Pierre POTIER m'a alors confié la mise en place d'un laboratoire "Interface" de Chimie-Biologie. J'ai donc au début préparé à l'Institut de Chimie des Substances Naturelles un certain nombre de dérivés de b-carbolines-3-carboxylates et 3-carboxamides que j'ai pu ensuite étudier in vitro et in vivo au Laboratoire de Physiologie Nerveuse. Ces travaux ainsi que ceux effectués en collaboration avec l'équipe de Mme M. Mazière (CEA Orsay) responsable de l'Unité de tomographie in vivo, nous ont permis d'établir la notion d'agonistes inverses, selon laquelle les b-carbolines, tout en se liant au même récepteur que les benzodiazépines (les agonistes), produisent des effets pharmacologiquement opposés à celles-ci. C'est également pendant cette période que j'ai synthétisé et breveté une série de molécules appartenant à la classe des 3-amino-b-carbolines. En effet, l'une de ces molécules, la b-CMC, possède la propriété d'antagoniser un seul des multiples effets des benzodiazépines, à savoir l'effet sédatif. La b-CMC que j'ai pu également obtenir sous forme radiomarquée, a surtout trouvé une grande valeur en tant qu'outil pharmacologique et a fait l'objet de plusieurs études par des équipes européennes et américaines, publiées depuis.

 

En 1984, j'ai été nommé Chargé de Recherche, 1ère classe, au CNRS. Responsable à Gif du même laboratoire interdisciplinaire, maintenant composé d'en moyenne 3-4 thésards et 1-2 DEA, j'ai pu continuer le programme de recherche entrepris avec M. P. POTIER, à savoir l'étude des interactions de ligands de type b-carboline avec le récepteur des benzodiazépines. C'est à cette époque (1986) que nous avons mis en évidence, en collaboration avec le Laboratoire de Physiologie Nerveuse à Gif, les effets promnésiants de la méthyle b-carboline-3-carboxylate (b-CCM) chez l'animal. Cette découverte majeure m'a beaucoup motivé dans ma recherche de nouveaux ligands de ce récepteur et, en particulier, de ligands démontrant des effets mnémotoniques comme la b-CCM mais dépourvus des effets convulsivants de celle-ci. Sur la base des résultats biochimiques obtenus avec un marqueur de photoaffinité radiomarqué de type b-carboline que j'ai pu développer, mon équipe a entrepris une étude systématique de la synthèse et de la pharmacologie de molécules "hybrides" composées d'éléments structuraux à la fois des b-carbolines-3-carboxylates et des benzodiazépines-1,4. La combinaison synthèse-essais in vitro nous a permis d'affiner notre modèle de l'interaction de ces molécules hybrides avec le récepteur, culminant à la préparation d'un "hybride" possédant une structure et une affinité optimale. Au cours de la synthèse de cette molécule hybride (objet maintenant d'un brevet), deux autres classes de molécules, ligands du récepteur des benzodiazépines, ont été découvertes. Il s'agit des 6-azaindoles-5-carboxylates 3-substitués et les b-carboline[2,3-b]butyrolactones, pour lesquels nous avons également déposé des brevets.

 

Nommé Directeur de Recherche 2e classe au CNRS, en 1990, j'ai souhaité maintenir notre effort dans le domaine du récepteur des benzodiazépines tout en diversifiant nos programmes vers d'autres cibles synthétiques et biologiques. C'est ainsi que nous avons développé des moyens synthétiques originaux de préparer les produits actifs au niveau du récepteur des benzodiazépines, cités ci-dessus. Ces méthodes comprennent notamment :

- l'ortho-métalation des 3-carboxy-b-carbolines permettant l'introduction d'une grande variété d'électrophiles sélectivement en C-4, dont l'iode. Celui-ci permet ainsi des couplages (avec des aminés, des aromatiques ...) catalysés au palladium. Ce travail a également nécessité la mise au point d'un nouveau groupement protecteur pour l'azote indolique des b-carbolines, éliminé par l'iodure de samarium.

 

- la préparation d'un nouveau réactif, l'a-amino-b,b-diéthoxypropionate d'éthyle, et son utilisation pour la synthèse des noyaux b-carboline-3-carboxylates, 6-azaindole-5-carboxylates ainsi qu'une variété d'hétérocycles originaux.

 

- l'application, pour la première fois, de la réaction de Pictet-Spengler à des dérivés pyrroliques en vue de préparer des 6-azaindoles multisubstitués.

 

Dans le cadre du programme européen "Biotechnologie", nous avons découvert deux classes de ligands originaux du récepteur GABA-A, dont l'une agit sur un site encore mal connu tandis que l'autre agit sur un site entièrement nouveau. Deux brevets ont par conséquent été déposés.

 

Dans le domaine de la chimiothérapie, nous avons découvert (en collaboration avec un laboratoire pharmaceutique) que certains dérivés de type indolizino[8,7-b]indoles que nous avions synthétisés dans le cadre d'une étude de la réactivité de nouveaux ylures de b-carbolines, possèdent des activités cytostatiques significatives dans plusieurs souches de cellules cancéreuses.

 

En vue de découvrir de nouveaux ligands sélectifs des multiples sous-classes du récepteur glutamate du système nerveux central, nous avons développé une nouvelle voie d'accès stéréospécifique à des acides a- et b-aminés multisubstitués. Cette voie est basée sur la chimie des aziridino-g-lactones dont la préparation et la réactivité très particulières ont été mises en évidence par mon équipe. Elle a permis la première synthèse énantiospécifique d'un acide 3,4-dihydroxyglutamique qui s'est avérée être effectivement un ligand sélectif d'une certaine sous-classe des récepteurs métabotropiques du glutamate. En outre, notre recherche chimique dans le domaine des aziridines nous a amené à développer un nouveau réactif d'aziridination de liaisons doubles.

 

Enfin, nous avons développé des nouveaux ligands du récepteur aux ions calciques ("Calcium Sensing Receptor") récemment mis en évidence. Ces molécules pourraient avoir un intérêt dans le traitement de l'ostéoporose ou de l'hyperthyroïdie. Un brevet a été déposé dans ce sens.

 

L'équipe de recherche que je dirige, aujourd'hui composée d'une dizaine de personnes (dont un chargé de recherche, des stagiaires postdoctoraux et des thésards) a pour vocation le développement d'une chimie originale afin de préparer des molécules biologiquement actives, surtout au niveau du système nerveux. Cette multidisciplinarité des activités du laboratoire est reflétée dans nos publications dans des revues internationales consacrées soit uniquement à la chimie innovatrice (Journal of Organic Chemistry, Tetrahedron, Heterocycles ...), soit à la pharmacologie pure (European Journal of Pharmacology, Brain Research, Psychobiology ...) soit à des sujets mixtes (Journal of Médicinal Chemistry, Molecular Pharmacology). En privilégiant le développement d'une chimie intéressante, tout en gardant en vue des cibles biologiques précises, nous avons réussi à mettre à jour un certain nombre de nouveaux produits pharmacologiquement actifs, comme l'attestent nos 3 brevets déposés cette année et l'intérêt que leur porte l'industrie pharmaceutique. En espérant qu'au moins l'un de ces composés puisse trouver un avenir comme médicament, nous continuerons à rechercher des molécules d'intérêt thérapeutique par le biais d'une chimie valorisante.