Lambert : Etude des infections à Vibrionaceae chez les mollusques bivalves

Documents disponibles au laboratoire de chimie du Muséum National d’Histoire Naturelle,

63 rue Buffon 75005 Paris

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Etude des infections à Vibrionaceae chez les mollusques bivalves, à partir d'un modèle larves de Pecten maximus

 

de

 

Christophe Lambert

 

 

Introduction

Malgré des progrès et des améliorations sensibles depuis Loosanoff et Davis (1963), l'élevage larvaire de mollusques bivalves en écloserie ne constitue pas encore un procédé totalement fiable et reproductible. De nombreuses variations en terme de survie, de croissance, de taux de métamorphose attestent la difficulté à contrôler les différents paramètres d'élevage.

 

Sans prétendre à la production de larves homogènes, tel un produit industriel, avec le risque de perdre les qualités nécessaires pour affronter les conditions naturelles de l'environnement, il semble toutefois possible de réduire les risques de production et d'en améliorer les performances.

 

Si les méthodes zootechniques sont essentielles dans la maîtrise de ce type d'élevage, de même que le suivi de la qualité des gamètes, de l'eau ou des algues utilisées pour la nourriture, le contrôle des pathologies reste un élément primordial.

 

En effet, des maladies infectieuses peuvent fortement perturber les productions et porter atteinte à la fiabilité des écloseries. Souvent, l'importance des pontes, en terme de quantité et de fréquence, supplée aux aléas de production. C'est d'ailleurs pour cette raison que la connaissance des épisodes de mortalité qui ont cours dans les écloseries commerciales est très limitée. Il suffit en effet de quelques élevages réussis pour assurer la production annuelle et les professionnels ne souhaitent pas, pour des raisons commerciales et de crédibilité, que l'on s'attarde sur les accidents d'élevage.

 

Néanmoins, depuis le démarrage de l'activité des productions contrôlées de bivalves, de nombreuses mortalités dues à des maladies infectieuses, ont été rapportées. Il semble qu'elles ne menacent plus actuellement les élevages grâce à la mise en oeuvre de procédures sanitaires prophylactiques (Eiston, 1984) ou de méthodes thérapeutiques. Ces dernières ne sont cependant pas toujours inoffensives et doivent être optimisées. L'utilisation d’antibiotiques à titre curatif et même préventif, est en effet une pratique couramment répandue.

 

D'autre part, les écloseries et les nurseries peuvent être la source de multiplication et de dissémination de pathogènes dans l'environnement. L'épisode récent de l'herpès-virus, qui infecte à la fois les larves et les juvéniles d'huître creuse (Crassostrea gigas) en France, montre combien cette phase d'élevage représente un risque de dissémination.

 

Aussi, il paraît souhaitable que des laboratoires continuent à étudier les causes de mortalités pour, d'une part, en dresser l'inventaire, et d'autre part, en appréhender les mécanismes.

 

Les agents infectieux connus sont principalement bactériens. Il faut cependant y ajouter un irridovirus (Leibovitz et al., 1978 ; Elston et Wilkinson, 1985), pathogène pour les larves de C. gigas (OVVD pour Oyster velar virus disease ) ; également, l'herpès virus, depuis 1991, en France et en Nouvelle-Zélande, qui touche à la fois les larves et les juvéniles de C. gigas et d'Ostrea edulis et peut provoquer des mortalités massives (Nicolas et al., 1992 ; Hine et al., 1992).

 

Dès 1965, Tubiash et al. décrivent des nécroses bactériennes sur les larves de mollusques aux Etats-Unis. Les larves et les juvéniles de l'huître américaine C. virginica sont l'objet de nombreux épisodes de maladies bactériennes décrits notamment par Brown en 1973 et 1981, par Brown et Losee (1978) et par Elston et Leibovitz (1980). Aux USA, Disalvo et al. (1978) rapportent des mortalités larvaires de l'huître japonaise (C. gigas) et de l'huître plate (0. edulis) provoquées par des vibrios. Jeffries, en 1982, décrit le même type de phénomène pour ces deux espèces en Grande-Bretagne. Garland et al. (1983) relatent également des mortalités larvaires de C. gigas dans les écloseries de Tasmanie et en attribuent la responsabilité à des vibrios. Les écloseries espagnoles sont aussi atteintes par des mortalités bactériennes massives de larves d'O. edulis (Bolinches et al., 1986; Lodeiros et al., 1987).

 

Les huîtres ne sont pas les seuls bivalves touchés puisque, dès 1959, Guillard décrit des maladies bactériennes chez le clam Mercenaria mercenaria, suivi en 1982 par Elston et al., et par Brown et Tettelbach (1988), puis chez Tapes philippinarum par Nicolas et al. (1992). Les genres Argopecten et Pecten ne sont pas plus résistants puisque Riquelme et al., en 1995, décrivent des mortalités larvaires au Chili, et Nicolas et al. (1996) sur les côtes françaises.

 

Quatre genres bactériens ont été mis en évidence dans ces phénomènes de mortalités sur les bivalves. Ce sont les genres Pseudomonas (Brown, 1974), Alteromonas (Garland et al., 1983), Aeromonas (Riquelme et al., 1996) et Vibrio (Guillard, 1959 ; Tubiash et al., 1965 ; Brown, 1973 et 1981 ; Brown et Losee, 1978 ; Eiston et Leibovitz, 1980 ; Jeffries, 1982 ; Garland et al., 1983 ; Hada et al., 1984 ; Bolinches et al., 1986 ; Lodeiros et al., 1987 ; Brown et Tettelbach, 1988 ; Lee et al., 1995 et 1996 ; Riquelme et al., 1995 ; Nicolas et al., 1996 ; Borrego et al., 1996 ; Riquelme et al., 1996). Le genre Vibrio est donc, de loin, le genre le plus souvent retrouvé comme agent étiologique dans les élevages de bivalves.

 

En France, le développement des écloseries de bivalves a été accompagné d'épisodes de mortalités dus à la présence de vibrios pathogènes. Ainsi, pour l'élevage de larves de coquille Saint-Jacques (Pecten maximus) en Rade de Brest ou à Argenton (Bretagne) un traitement antibiotique, au chloramphénicol à 8 mg.L-1 (Le Pennec et Prieur, 1977) est toujours appliqué à titre préventif et de façon systématique (Robert et al., 1996). Les antibiotiques sont parfois utilisés dans les élevages de C. gigas en cas de mortalités anormales ou d'arrêt de croissance.

 

Dans les écloseries d'Argenton et de la Rade de Brest, des mortalités apparaissent systématiquement dans les élevages larvaires de P. maximus dès que l'antibiotique n'est plus distribué. Cette constatation est à l'origine de différents travaux. Dès 1990, mais également en 1991, 1992, 1993 et 1995, des souches de vibrios ont été isolées de larves moribondes de P. maximus à Argenton. Ces souches ont été nommées respectivement A060, A365, A496, A601 et A700. Le caractère pathogène de certaines de ces souches a été démontré et la maladie partiellement décrite (Nicolas et al., 1996). Cependant, aucun travail sur l'identification précise des souches, ni sur les modes d'infection, n'avait été réalisé.

 

Aussi, au départ de ce travail, nous nous proposions d'étudier d'une façon approfondie cette maladie larvaire. Pour ce faire, nous disposions d'un ensemble de souches pathogènes ou potentiellement pathogènes pour les larves de P. maximus (A060, A365, A496, A601 et A700) ainsi que des souches isolées de larves moribondes de C. gigas et 0. edulis, prélevées en écloseries commerciales.

 

Dans une première partie, une identification complète des souches pathogènes pour les larves de P. maximus est présentée : description phénotypique classique, analyse de taxonomie numérique, phylogénie à partir de la séquence ARNr16S, hybridation ADN/ADN.

 

Dans une seconde partie, une recherche des modes d'infection est réalisée, après vérification du caractère pathogène des souches, par une brève étude descriptive de la maladie et la mise en évidence de la toxicité des bactéries sur les hémocytes de P. maximus et C. gigas adultes. Cette toxicité est mesurée par un test de chimioluminescence que nous avons adapté au cas des bivalves.

 

Pour mieux comprendre les liens qui existent entre la sensibilité des larves aux maladies bactériennes et la résistance des adultes, une troisième partie a été consacrée à la description d'une maladie bactérienne chez l'adulte ainsi qu'à l'étude des effets d'une inoculation de bactéries pathogènes.

 

Enfin, dans une quatrième et dernière partie, le test de chimioluminescence a été utilisé pour tenter d'isoler et de purifier le ou les facteurs responsables de la toxicité.

 

Avant d'aborder la première partie expérimentale de ce travail, les pages qui suivent apporteront quelques éléments bibliographiques concernant le genre Vibrio et son rôle dans les maladies bactériennes en général et chez les bivalves en particulier.

 

Des applications pratiques peuvent être tirées de cette recherche pour améliorer les mesures prophylactiques des élevages.

 

La connaissance et l'expérimentation en bactériologie marine sont indispensables à la maîtrise des élevages de bivalves. Le travail mené ici permet notamment de redonner aux pathologies bactériennes leur juste valeur. Elles doivent rester un sujet d'étude et de préoccupation de manière à faire évoluer efficacement les moyens de lutte.

 

Le choix de ces moyens ne doit plus en effet se limiter à l'antibiothérapie en écloserie. Outre le risque d'apparition de souches résistantes qu'elle implique, il est très difficile d'évaluer le rôle de telles molécules (antibiotiques) sur le développement des larves de bivalves. Il est également important d'éviter les mesures sanitaires qui consisteraient à réaliser des élevages larvaires dans un milieu trop protégé qui ne les prépareraient pas à affronter le milieu naturel.

 

D'autre part, il a été montré que V. vulnificus par exemple, est capable de survivre dans les hémocytes d'huîtres adultes (Hams-Young et al., 1995). V. pectenicida, s'il ne semble pas pouvoir résider longtemps dans des hémocytes, a peut-être, grâce à des facteurs d'attachement, la capacité de coloniser certaines parties du tube digestif. Les bivalves adultes peuvent donc être des vecteurs de V. pectenicida. Pour s'en assurer, une étude épidémiologique pourrait être entreprise grâce notamment aux méthodes de détection proposées ci-dessus, sonde nucléique ou milieu sélectif.

 

Pour éviter d'éventuelles contaminations par les adultes au niveau des élevages, la première précaution à prendre est la séparation entre les géniteurs et les larves. A ce niveau il semble utile de développer des moyens efficaces: barrière sanitaire (séparation des circuits d'alimentation en d'eau, d'apport de nourriture, séparation physique des zones adulte et larve...), décontamination des oeufs par des antibiotiques.

 

Enfin, il paraît intéressant de développer des moyens de lutte, différents de l'antibiothérapie, et complémentaires des mesures sanitaires. Deux voies principales s'ouvrent aujourd'hui qui sont toutes deux basées sur la connaissance approfondie de l'écologie bactérienne des élevages et des pathogènes spécifiques. Elles consistent à contrôler, dans la mesure du possible, les équilibres bactériens.

 

Une première méthode utilisée dans les élevages larvaires de crevette par exemple (rapportée par Lightner et al., 1992) consiste à modifier artificiellement la composition du milieu de manière à favoriser le développement de bactéries neutres au dépend des pathogènes. En Equateur, certains aquaculteurs en ajoutant 20 kg/ha de saccharose dans les bassins, observent une diminution de courte durée mais sensible du nombre de vibrios luminescents responsables de vibrioses. Ce phénomène peut trouver une explication dans les caractéristiques culturales de V. parahaemolyticus, qui est l'agent le plus souvent isolé au cours de ces vibrioses. En effet, cette bactérie n'est pas capable d'utiliser le saccharose. Cette méthode n'est évidemment possible que si les caractéristiques culturales du pathogène sont différentes des espèces non pathogènes. Dans le cas de V. pectinicida, qui a un spectre très étroit d'utilisation de substrats carbonés, plusieurs possibilités, dont le saccharose, ont été envisagées. Les premiers essais effectués n’ont pas donné de résultats probants, la dose utilisée (4mg/l) était sans doute trop élevée (Robert et al., 1996).

 

La deuxième méthode consiste à inoculer dans le milieu des souches bactériennes de type probiotique. Ainsi la souche PM-4 ajoutée quotidiennement pendant six jours à l'eau d'élevage larvaire de crabe (Portunus trituberculatus) a entraîné la réduction de la population de Vibrio spp., avec pour conséquence une meilleure croissance des animaux (Nogami et Maeda, 1992). Si dans ce cas le mode d'action du probiotique n'est pas très clair, il existe des exemples (Gatesoupe, 1997) où l'activité probiotique d'un vibrio non pathogène ajouté est due à une compétition trophique. Cette souche de vibrio non pathogène pour les larves de turbot (Scophthalmus. maximus) empêche, en partie par sa capacité à former des sidérophores qui captent le fer, le développement d'un vibrio pathogène.

 

D'autres modes d'action probiotique ont été décrits et notamment pour la souche Roseobacter gallaecia sp. nov. (Ruiz-ponte et al., 1997). Cette souche présente en effet une activité antibactérienne, qui se traduit par une protection des larves de P. maximus naturellement infectées par V. pectenicida (Ruiz et al., 1996).

 

Le système de défense des larves, bien qu'insuffisant, existe, avec notamment la présence d'hémocytes fonctionnels. Il semble donc possible de proposer des moyens de stimulation pour ces cellules (immunostimulation) afin de réduire les effets pathogènes.

 

Ces moyens ont déjà été mis en oeuvre chez les poissons qui possèdent un système immunitaire plus développé (Robertsen et al., 1990; Yano et al., 1991 ; Jorgensen et al., 1993) et sur les crevettes (Sung et al., 1991 ; 1994) avec des résultats en partie controversés. La limite principale de ces moyens de lutte chez les mollusques tient dans l'absence de mémoire immunitaire. Il semble donc difficile de faire durer l'effet immunostimulant d'un traitement. Cependant, la phase critique d'élevage des larves de P. maximus reste une période limitée à une quinzaine de jours (10 à 25). Afin d'apporter quelques éléments nouveaux sur l'efficacité éventuelle de l'immunostimulation, nous avons mené au sein du laboratoire en 1997 une première expérience sur des larves de P. maximus. Un bain de deux heures des larves dans une solution de Glucan (SIGMA, immunostimulant, extrait de levure) a été aussi efficace que l'addition de chloramphénicol pour éviter les mortalités observées sur les témoins et ce sur une période de 20 jours environ. Sans préjuger de la confirmation de ces premières observations, il pourrait être intéressant de poursuivre ce type d'expérimentations.

CONCLUSION

La pathologie larvaire des bivalves est un domaine difficile à aborder à cause de la taille des animaux et du caractère transitoire de la phase larvaire. Toutefois, ce travail donne des bases nouvelles pour mieux comprendre le mécanisme de ces infections larvaires.

 

Une nouvelle souche de vibrio, V. pectenicida, a été caractérisée et affiliée à d'autres vibrios du groupe V. splendidus. Ces bactéries sont vraisemblablement en équilibre avec leur hôte dans le milieu naturel mais deviennent pathogène dans les élevages à cause de l'accroissement des densités animales et peut être d'un état physiologique non optimal des larves.

 

L'étude histologique permet d'avancer l'hypothèse d'une pénétration des tissus par translocation.

 

Le modèle pour étudier ces pathologies, en l'absence de culture cellulaire de mollusque, ne peut se limiter à la larve seule à cause du caractère trop global de ce modèle. Les élevages axéniques, s'ils représentent un atout supplémentaire, en permettant de tester des fractions bactériennes et en évitant l'action d'autres bactéries restent cependant délicats à mettre en oeuvre et ne donnent que des paramètres de survie et croissance.

 

L'utilisation des hémocytes de bivalve adulte et du test de chimioluminescence rend compte de certains caractères de virulence comme l'existence de cytotoxine(s) très actives. Si une certaine spécificité est retrouvée avec cette méthode, d'autres caractères de virulence doivent être mis en jeu pour que les cellules bactériennes s'introduisent à l'intérieur des tissus .Une relation simple entre la virulence et l'inhibition du burst respiratoire chez les hémocytes n'a pu en effet être établie. Une question reste également en suspens: les larves ont-elles des systèmes de défense actifs autres que les hémocytes?

 

La cytotoxine impliquée n'a pu être suffisamment purifiée pour l'identifier chimiquement. Cependant, les éléments qui la caractérisent, petit poids moléculaire, résistance à la chaleur et aux protéases l'éloignent des cytotoxines des vibrios pathogènes pour l'homme et pour le poisson. Elle se rapproche de la toxine ciliostatique de Nottage et Birkbeck (1989). Elle ne ressemble pas aux toxines de microalgues toxiques qui sont liposolubles ni aux toxines actives sur les cellules de mammifères qui sont protéiques et de masse moléculaire élevée. Elle est commune à deux vibrios d'espèces différentes et pourrait donc être assez ubiquiste chez les vibrios pathogènes. Son spectre d'activité pourrait aussi ne pas être restreint aux bivalves.

 

La seule méthode prophylactique utilisée en élevage de P. maximus consiste à ajouter des antibiotiques. Cette étude n'avait pas pour objet de répondre à ce problème pratique mais d'une manière générale et en particulier pour le groupe V. splendidus, les méthodes prophylactiques à préconiser doivent tenir compte de l'interaction entre l'état physiologique de la larve et la virulence de ces bactéries. Différentes pistes peuvent être proposées: mise en place d'une barrière sanitaire entre l'adulte et l'oeuf, par décontamination des oeufs, contrôle de la contamination de l'eau, amélioration des conditions zootechniques mais surtout utilisation de probiotiques ou de substrats organiques pour modifier la composition de la microflore associée et renforcement des moyens de défense des larves par une immunostimulation.






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